Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mer de 15 pour 100 ; mais, malgré cet avantage, l’absence de moyens de transport rend la lutte impossible à nos nationaux : d’ailleurs, c’est grâce aux droits de douane payés par les étrangers que la colonie équilibre son budget, en sorte que l’administration française, pour maintenir le bon état de ses finances, aurait intérêt à ne pas favoriser l’importation française !

Quelque anormale que soit une telle situation, ses conséquences n’auraient cependant rien d’alarmant s’il ne s’agissait que d’une perte de quelques centaines de mille francs pour le commerce national[1] ; mais Tahiti occupe, au centre du Pacifique, sur la route directe de San Francisco et de Panama à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie, une position qui la rend indispensable à qui veut régner sur le Grand Océan. Papeete et Pango-Pango sont, entre l’Amérique et l’Australasie, les ports de relâche obligatoires. Le second appartient aux Etats-Unis ; prenons garde qu’un jour le premier aussi ne tombe entre leurs mains. La prédominance économique devient de plus en plus l’un des facteurs essentiels de la prépondérance politique ; quand toutes les principales entreprises et les plus fortes maisons de commerce seront devenues, depuis longtemps, américaines, un jour viendra où les États-Unis invoqueront les droits acquis et nous demanderont de leur vendre Tahiti et ses dépendances, à moins qu’ils ne trouvent moyen d’y fomenter quelques troubles qui leur permettraient d’intervenir : l’événement de Panama doit être, pour nous, un enseignement. Il est triste de constater que les Américains trouveraient des complices dans une partie de la population maorie. On sait ce que sont, à Tahiti, les querelles religieuses et nationales : c’est un fait incontestable que les indigènes protestans sont plus portés vers les Anglo-Saxons que vers nous : ils considèrent le protestantisme comme la religion des peuples de langue anglaise ; ils trouveraient un encouragement au moins tacite chez quelques-uns de leurs coreligionnaires français. La plupart des gouverneurs de Tahiti n’ont rien fait pour décourager de telles menées ; plusieurs d’entre eux ont même réservé leurs faveurs aux protestans ; une telle attitude, dans un tel pays, est plus qu’une erreur.

Pouvons-nous du moins compter, pour maintenir l’autorité

  1. Le commerce total de Tahiti et dépendances a été, en 1902, de 8 211 048 fr., dont 3 913 328 francs aux importations et 4 297 720 francs aux exportations. La part de la France sur le total a été de 1 260 950 francs, celle de l’étranger de 6 950 098 fr