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une personnalité civile et politique, mais elle demeurait toujours muette et il n’était nullement question de lui donner la parole. Le corps enseignant et le jury d’examen restaient absolument distincts l’un de l’autre.

Cependant les temps étaient bien changés. Le cockney pouvait être rangé parmi les espèces disparues. La grande ville, dont la population avait quadruplé en trois quarts de siècle et dont la superficie, démesurément agrandie, s’étendait sur le territoire de cinq comtés, avait pris conscience d’elle-même ; elle allait s’incarner dans une assemblée démocratique, avide de progrès, pleine d’hommes nouveaux et maniant un budget égal à celui d’une puissance européenne de second ordre. Grâce aux collections qu’elle renferme et qui offrent à la recherche scientifique et érudite de précieuses ressources, grâce à l’afflux incessant des talens et des capitaux qui tendait à en faire, de plus en plus, un des centres du monde, elle était animée, maintenant, d’une vie intellectuelle intense, et cette vie, comme la vie matérielle, réclamait qu’on assurât son approvisionnement régulier et quotidien. L’exemple des grandes cités du continent, Berlin et Paris, s’imposait à toutes les réflexions. Un idéal, encore inconnu, de l’Université moderne, de ses nécessités et de ses devoirs, se levait à l’horizon. Pendant des siècles, il avait été très doux de s’isoler à l’ombre des tours et des clochers d’Oxford et de Cambridge pour y lire Platon et Sénèque, en compagnie de savans maîtres et de camarades choisis, d’écouter l’orgue, à la chapelle, tout en regardant la lumière du matin et du soir qui joue à travers les vitraux, de se perdre en rêveries, en causeries, en promenades sans fin, jusqu’à une heure tardive, sous les étoiles, autour du velours vert des pelouses ou des vieilles cours muettes, tapissées de lierre, pareilles à des cloîtres du moyen âge que le temps aurait oubliés.

Oui, elle avait été charmante, cette vie studieuse et, en quelque sorte, rétrospective, égayée, çà et là, de gamineries enfantines et où l’esprit se remplissait de connaissances de luxe, de mille précieuses superfluités, dont la possession était un privilège de la race ou de la fortune. À ces cloîtres qui étaient des clubs, à ces clubs qui étaient des cloîtres, il fallait le décor médiéval et le silence de la petite ville.

Mais on commençait à comprendre que l’Université moderne doit être située le plus près possible du lieu où la vie moderne