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Mais la routine et l’esprit de caste ont prévalu. Cet esprit de caste est devenu encore plus jaloux, — ceci n’étonnera personne, — depuis que l’Université a été envahie par les enrichis de la démocratie qui viennent s’y décrasser, non s’y réformer. Les research students, d’abord très nombreux, se sont aperçus qu’on ne les recevait pas tout à fait en égaux. Ils se détournent et leur nombre tend à décroître. L’œuvre des settlements, commencée sous une très noble inspiration, a été confisquée par les clergymen au profit du prosélytisme religieux et, d’ailleurs, le véritable peuple, avec lequel on voulait entrer en contact, moitié timidité, moitié méfiance, s’est dérobé. En somme, les Universités restent ce qu’elles étaient : une pépinière de gentlemen, et, aussi longtemps que ceux qui en sortent se trouveront placés, de par leur naissance ou leur fortune, à la tête de la société, la population de Cambridge et d’Oxford ne court aucun risque de diminuer.

Je ne sais si l’Université de Londres contribuera à civiliser les jeunes gens de la petite bourgeoisie et des classes laborieuses qui formeront sa première clientèle. Mais je suis persuadé que l’intimité entre maîtres et élèves, qui est nécessaire à l’étude et à la recherche en commun, pourra s’y établir aussi facilement et aussi complètement que dans les vieilles Universités. Au début, à cause de l’immensité de la ville et de la modicité des ressources, on se verra moins, on boira ensemble moins de café et de claret. Mais, d’autre part, la présence des femmes dans l’Université peut imprimer aux réunions un caractère différent et meilleur. Les London men auront sur ceux de Cambridge et d’Oxford un grand, avantage, leur pauvreté, cette pauvreté dont le vieux Théocrite disait déjà qu’elle éveille l’intelligence et rend l’homme ingénieux. Au lieu des arches gothiques et des chênes bicentenaires, ils auront chaque jour sous les yeux les mornes rues de Londres avec ce flot d’humanité inquiète qui n’y tarit jamais ; au lieu des souvenirs du passé, les problèmes du présent. Ces problèmes, ils ne les envisagent pas en curieux, en simples spectateurs, en dilettanti de la sociologie. Un âpre souci personnel se mêlera à toutes leurs pensées, le souci de la position à conquérir, de la famille à construire. Il arrivera quelquefois, il est déjà arrivé à plus d’un d’incarner ce rêve d’avenir dans une jeune fille que le hasard fit sa compagne d’études et qui lutte contre les mêmes difficultés. Très différente de la cousine ou de la voisine