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rejoint l’Empereur à Niort[1]. Il eut l’idée d’y séjourner en attendant la réponse du gouvernement provisoire ou des avis plus favorables du préfet maritime. Il envoya Gourgaud à Rochefort pour savoir si l’on pourrait tromper la surveillance de la croisière en gagnant la haute mer par la passe de Maumusson. Dans la soirée, Lallemand soutint un autre projet. Le 2e hussards était très exalté. Tous les officiers s’étaient présentés à la préfecture. Ils voulaient proposer à l’Empereur de se mettre à la tête de leur régiment pour retourner à Paris ou pour aller dans la Vendée rejoindre l’armée du général Lamarque. Lallemand conseilla d’accepter cette offre. Mais Napoléon avait trop souci de sa dignité et du bien de la France pour courir pareille aventure. Avec 300 000 ennemis en marche sur Paris, il comprenait l’impossibilité d’un second retour de l’île d’Elbe. Pour couper court aux propositions de ce genre comme aux inquiétudes de Beker, qui le pressait de se rendre à Rochefort, il résolut de quitter Niort. Il déclara qu’il partirait le lendemain à quatre heures du matin. Cette décision s’ébruita. Quand l’Empereur monta en voiture, la foule, malgré l’heure matinale, se pressait dans les rues. Aux Vive l’Empereur ! se mêlaient les cris : Restez ici ! ’ Restez avec nous ! Le 2e hussards était monté à cheval pour présenter une dernière fois les armes à l’Empereur. Bien que Napoléon n’eût point demandé d’escorte, un peloton commandé par un officier accompagna sa calèche sabre au poing. A une poste de la ville, l’Empereur congédia les hussards. Il remercia l’officier et fit donner à chaque cavalier son portrait gravé, — sur une pièce de vingt francs.

On savait dans toute la contrée que Napoléon était à Niort, en route pour Rochefort. On le guettait dans chaque village. Quand on voyait passer la calèche à quatre chevaux, nul ne doutait qu’il ne s’y trouvât, et l’on criait : « Vive l’Empereur ! » A Mauzé, à Saint-Georges, à Surgères, à Muron, à Saint-Louis, il entendit les mêmes acclamations. On achevait la fenaison ; les

  1. Joseph, parti de Paris, le 29 juin, pour aller s’embarquer à Bordeaux, avait voulu dire un dernier adieu à son frère, et, de Limoges, il s’était dirigé vers Rochefort par Niort. Il apprit là que l’Empereur était à la Préfecture. — Gourgaud avait quitté la Malmaison, peu après l’Empereur, l’avait rejoint à Rambouillet et l’avait suivi ensuite à quelques postes de distance. Marchand était dans une voiture qui suivait celle de Gourgaud. * La comtesse Bertrand et ses enfans, qui avaient pris la même route, arrivèrent aussi à Niort le 2 juillet. Le général Lallemand était parti seul, de Paris.