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Comme nous l’avons dit, l’exposition prendra nos vieux artistes à l’avènement des Valois, au milieu du XIVe siècle. Contre toute attente, cette période troublée de notre histoire connut le mouvement d’art le plus décisif que la France ait vu. Ni la désolation des guerres, ni la funeste journée de Poitiers n’en arrêtèrent l’élan. La prise du roi Jean le Bon aura, dans l’exposition, un souvenir lointain, le plus lointain même, dans le portrait du Roi peint en Angleterre pendant sa captivité. L’effigie faisait autrefois partie d’un tableau de quatre volets fermant à charnières : les autres panneaux montraient le roi Edouard III le vainqueur, le dauphin Charles, depuis Charles V, et l’empereur Charles IV, tous parens très proches. Jean le Bon, hirsute et barbu, tout noir sur son fond d’or poinçonné, rappelle ces paysans de l’Ile-de-France peints de nos jours par François Millet en des toiles célèbres. Il avait été envoyé au dauphin avec les trois autres, et on le vit longtemps figurer à l’Hôtel Saint-Paul, résidence du prince.

Quand l’hôtel fut détruit dans le XVIe siècle, Arthur Gouffier, précepteur de François Ier, y vint chercher un souvenir, et comme sa femme Hélène de Hangest se piquait de protéger les arts et de les aimer, il emporta à Oyron le quatriplyque. C’est à Oyron que Roger de Gaignières, — le collectionneur dont il a été question déjà, — s’en alla chercher le roi Jean le Bon, tout seul, probablement séparé du roi Edouard III par quelque Gouffier patriote, et il le déposa dans sa galerie de curiosités nationales. A la vente de Gaignières en 1717, le régent Philippe d’Orléans, dont les goûts se retrouveront à cent ans de là chez son arrière-petit-fils le roi Louis-Philippe, voulut que le portrait du roi Jean restât à la France ; il le retira de l’encan. Telle est, en résumé très bref, l’histoire de cette pièce capitale, dont aucun autre pays ne possède un équivalent, et qui figurera au premier rang de nos primitifs. A lui seul, le portrait de Jean le Bon suffirait à justifier le titre de l’exposition ; il est, semble-t-il, de la main du peintre, valet de chambre zélé, qui suivit son maître en Angleterre, Girard d’Orléans.

Le portrait de Jean le Bon ne sera pas un témoin isolé ; quelques œuvres d’ordre différent viendront s’accorder à lui et lui faire cortège. D’abord le diptyque menu, pareil à la plus jolie page de missel, que garde la collection Carrand au Bargello de Florence. D’un côté, c’est une Adoration des Mages, de