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Si Jean van Eyck est rencontré peignant à Cambrai un cierge pascal, ses ancêtres de France ne dédaignent aucune besogne. Quel peut être le maître exquis dont une broderie de dalmatique, prêtée par M. Martin Le Roy, nous révèle le talent délicat et spirituel ? Je ne parle pas du brodeur dont l’habileté est incroyable, mais de l’inventeur capable de fournir de pareils modèles. Nul primitif, peignant sur panneau, n’eut à la fois autant de grâce et de malicieux esprit. L’œuvre mineure s’élève ici au plus haut.

À ce mouvement parisien du XIVe siècle se rattache un morceau dont l’illustration est aujourd’hui acquise et dont l’origine française est reconnue par les hommes avertis en ces matières : le Portrait du roi Richard II, en la possession de lord Pembroke. Ici, nous n’avons plus affaire à un manuscrit ou à une broderie, mais à une composition complète, cherchée, œuvre royale digne de toute admiration. Richard II est venu en France pour épouser la fille de Charles VI ; il est à Calais en 1396. Le tableau est vraisemblablement l’un des cadeaux du beau-père au futur gendre ; en tous cas, c’est un bijou de pittoresque, de vérité et d’ironie malicieuse. Sur le volet de droite, la vierge Marie, celle que nous connaissons, la vierge jolie et mignarde des Parisiens, tient son fils dans ses bras au milieu d’une théorie d’anges aux ailes relevées. Sur l’autre panneau, le roi Richard, vêtu d’une longue houppelande historiée, ayant derrière lui trois saints, saint Edouard, saint Edmond et saint Jean-Baptiste, est prosterné devant la mère de Dieu. Richard porte un collier de l’ordre du Cerf, sa robe est semée de cerfs, et, par une adorable naïveté, ou plutôt une intention gamine du peintre, tous les anges sont, eux aussi, décorés de l’ordre du Cerf ! Déjà ceci trahirait l’origine parisienne, s’il n’y avait mieux. Le saint Jean-Baptiste debout devant le roi est celui du Parement de Narbonne, celui aussi du diptyque du Bargello ; les anges se sont envolés de nos manuscrits les plus indiscutablement authentiques : Richard Plantagenet est redevenu Français.

Il faut le redire, ce sont là des survivans du grand désastre ; l’Angleterre en possède beaucoup d’autres, dont les Siennois et les Colonais bénéficient à cette heure, trophées conquis en France pendant les guerres du XIVe siècle. Que de vierges à fonds d’or, mises dans le butin des chevaliers anglais, devenaient là-bas des témoins des rudes journées ! Celui qui voudra écrire plus tard