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de la « race supérieure » leur paraît encore un méfait du slavisme ; tout bon Allemand a cru voir en rêve ce terrifiant avenir : la « civilisation germanique » écrasée sous la lourde botte du Cosaque. L’expansion russe est pour l’Allemand un péril national ; elle lui apparaît plus menaçante encore depuis qu’il I sait les ambitions de l’Orient moscovite unies par un traité d’alliance aux revendications de l’Occident français. Les orateurs et les journaux de la Social-Démocratie ont pris à tâche de rajeunir et de formuler ces défiances instinctives ; depuis longtemps, la Russie autocratique est l’épouvantail du socialisme allemand ; en 1891, Bebel, au Congrès d’Erfurt, s’écriait : « Si la Russie, l’ennemie de toute civilisation humaine, attaque l’Allemagne pour la dépecer et l’anéantir, nous sommes autant et plus intéressés que ceux qui gouvernent l’Allemagne et nous résisterons à l’agresseur. » Dès le début de la guerre actuelle, les chefs du parti et leur organe ordinaire, le Vorwarts, se sont prononcés nettement pour le Japon ; Kautsky, dans un violent article de la Neue Zeit, a expliqué que la démocratie allemande déteste dans le tsarisme le rempart de tous les gouvernemens réactionnaires, et souhaite de tout son cœur le triomphe des Japonais. D’une victoire de la Russie, les socialistes allemands redoutent à la fois un redoublement de conservatisme et d’autoritarisme dans le gouvernement intérieur de leur pays et le prétexte d’un nouvel accroissement des armemens et du militarisme. Ainsi les plus vieux instincts du peuple et les aspirations les plus nouvelles de cette « Social-Démocratie » qui groupe non seulement les « socialistes » orthodoxes, mais tous les mécontens et tous ceux qui travaillent à donner à l’Empire un gouvernement plus libéral et à élargir l’armure qui comprime la vie populaire, ont conspiré pour faire naître et propager des sentimens de sympathie pour l’audacieux Japon qui ose s’attaquer au colosse slave et dont les petits soldats, dressés et équipés à l’allemande, besognent si hardiment contre l’ours moscovite.

Mais, en même temps qu’elle est idéaliste ou même révolutionnaire, l’Allemagne moderne, commerçante et industrielle, se préoccupe du chiffre de ses exportations et de l’expansion de ses nationaux. Ses affaires, en Extrême-Orient, se sont, en ces dernières années, accrues si rapidement qu’elle a en partie supplanté la Grande-Bretagne et qu’elle tient tête aux États-Unis. Du conflit actuel, elle n’est donc pas seulement spectatrice ; ses intérêts