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le Yankee sait vouloir et sait oser ; il est prompt à l’enthousiasme, mais il est parfois la dupe de sa propre générosité incomplètement informée. Naturellement porté à admirer les autres dans la mesure où il croit voir en eux un reflet diminué de sa propre image, il aime du Japon la hardiesse de ses initiatives, la rapidité de son essor économique, sa passion des nouveautés, son goût du self-help, son penchant pour le bluff, son nationalisme exclusif et jusqu’à la brutalité de ses procédés de politique extérieure. Conscient d’être le plus libre des peuples, fier de donner asile aux victimes de toutes les tyrannies, le Yankee a horreur de l’autocratie russe, que sa presse lui dépeint sous les couleurs les plus atroces ; l’âme américaine et l’âme russe, séduisantes l’une et l’autre par certains de leurs aspects, sont séparées par de profondes dissemblances : comment pourraient-elles se comprendre ? D’esprit simpliste, le Yankee ne s’arrête pas aux nuances et ne s’embarrasse pas des distinctions où, en bon homme d’affaires, il n’a pas le loisir d’entrer. Pour lui, « le Japon représente dans le conflit l’élément civilisé, le principe libéral et moderne de développement national, la promesse de progrès pacifique. La Russie incarne l’anachronisme d’une organisation fondée sur le fanatisme et la force, sur l’étranglement de la liberté et l’abaissement du peuple[1]. »

Il faut d’ailleurs se garder de rendre la nation américaine responsable des engouemens irraisonnés de la partie la plus agitée et la plus bruyante de la population de l’Union. Les Américains de fraîche date sont ceux qui ont la prétention d’être les plus « américains ; » les nouveaux immigrés, ivres d’espace et de liberté, sont, en général, ceux qui exagèrent jusqu’au ridicule les qualités et les défauts du Yankee ; sur le continent américain, ils apportent et ils répandent leurs antipathies de race et leurs préjugés ataviques. Les plus ardens partisans du Japon aux États-Unis sont sans doute les Polonais, les Arméniens, les Juifs, dont le nombre, l’influence et la fortune s’accroissent avec une rapidité qui déconcerte les plus récens observateurs de la vie américaine, et dont beaucoup sont originaires de Russie ; enfin, les réfugiés russes, slaves ou finlandais, auxquels il faut encore joindre les outlaws, les anarchistes de tous pays, tous ceux pour qui les lois de leur patrie ont été ou ont paru trop sévères ou

  1. Correspondance américaine de l’Indépendance belge, 11 mars 1904.