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agitée, voulait qu’on soumît la question au Conseil des ministres, l’Empereur ne consentit à instruire que La Valette et Rouher. Celui-ci se montra fort irrité. « C’est un tour de Walewski, dit-il. — Je ne permettrai pas qu’on dise cela, répondit l’Empereur ; c’est moi qui ai voulu, c’est moi qui me suis adressé à Walewski. » Le même soir, au rendez-vous qui m’avait été fixé à cinq heures, je ne trouvai pas Rouher. L’Empereur me dit que, retenu par une commission, le ministre d’État n’avait pu venir.

Il me lut un projet de décret et un exposé de motifs fort bien faits, dont il ne nomma point l’auteur, sur la suppression de l’Adresse, le droit d’interpellation, l’envoi des ministres à la Chambre. Il ne revint pas sur le droit de réunion. Quant à la suppression de l’autorisation préalable, la substitution du pouvoir judiciaire au pouvoir administratif, il reprit son objection sur la difficulté de définir les délits. — « La difficulté, dis-je, a déjà été résolue. Que Votre Majesté veuille bien se faire apporter un Code, et je lui lirai l’énumération de tous les délits de presse punis, la plupart, en vertu de lois rendues par des Assemblées républicaines. Mais je préviens Votre Majesté que la lecture ne sera pas courte. » Le Code apporté, je lus l’énumération. Quand j’eus fini : « Ah ! dit-il en riant, la litanie est complète. — Vous le voyez, Sire, une loi sur les délits de presse n’est donc pas à faire. — Non, vous avez raison, elle est faite. — Pourquoi, d’ailleurs, ajoutai-je, refuseriez-vous la liberté de la presse ? Que peut-on écrire de vous de plus que ce qu’on écrit ? Cette liberté n’aura qu’un effet, c’est de permettre contre vos ministres ce qui se permet uniquement contre vous. — Le fait est que ces messieurs me consultent parfois, mais qu’en général je ne sais pas ce qu’ils font. — Eh bien ! Sire, les journaux vous l’apprendront de temps à autre. — Du reste, je suis décidé. Ce qui me décide surtout, c’est qu’en fait on a beaucoup de liberté et j’ai l’air de n’en laisser aucune. » Il ajouta : « Ce que j’accorde est considérable, et, si je sortais du premier Empire, on le reconnaîtrait ; mais comme je succède à des gouvernemens parlementaires, tant que je ne verserai pas dans l’ancienne ornière, on trouvera que j’accorde peu ; vous le verrez, Thiers le dira. — Sans doute, mais tous les esprits équitables rendront justice à la généreuse initiative de Votre Majesté. »

J’avais obtenu de Walewski plus qu’il ne m’avait offert, de