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activité vers l’Afrique et vers l’Asie, l’Égypte est devenue le centre et comme le nœud des deux continens.

Mais, en 1840, on pensait surtout à l’Empire ottoman ; tout conspirait à concentrer l’attention sur le Bosphore : la mémoire encore vivace des longues guerres contre les Turcs, les ambitions de la Russie, la routine d’une diplomatie pour laquelle le monde finissait à la Méditerranée. On sait la fortune soudaine de Mehemet-Ali, les victoires de son fils Ibrahim, le Sultan menacé jusque dans Constantinople, les Russes accourant à son secours, puis l’Europe entière soulevée contre la France qui patronnait le pacha d’Égypte, le bombardement de Beyrouth, — et l’espèce de défaite morale qui s’ensuivit pour nous.

M. Thiers était alors premier ministre : son tort n’a pas été de porter l’effort de la France vers l’Égypte. Il voyait très juste, au contraire. Formé, comme historien, à l’école de Napoléon, il pensait aux Indes. Mais ses moyens furent mal combinés. Déjà faible sur mer, la France devait être sûre de l’Europe. Elle l’était si peu, qu’en quelques heures, à Londres même, une coalition se noua contre nous à l’insu de notre ambassadeur. M. Thiers, dupe du génie de Napoléon, prétendait vaincre l’Angleterre et conquérir l’Égypte sur le Rhin. C’était recommencer, avec des ressources dix fois moindres, l’erreur du blocus continental. Les projets gigantesques du grand Empereur avaient fait trembler l’Europe, les menaces du gouvernement de Louis-Philippe ne firent que l’irriter. Quant à notre flotte, elle n’avait pas même osé se montrer devant la flotte anglaise. Ce n’est pas que notre escadre du Levant fût négligeable : sir Charles Napier a dit qu’elle était alors égale, sinon supérieure aux forces britanniques dans la Méditerranée. Mais les Anglais, maîtres de Gibraltar et de Malte, pouvaient sans cesse amener de nouveaux renforts et il n’était pas en notre pouvoir de les arrêter.

Quatre ans plus tard, un jeune officier de marine publiait, sur les forces navales de la France, une « note »[1] qui fit beaucoup de bruit. Supposant une guerre avec l’Angleterre, tout en se défendant de la vouloir, il établissait l’insuffisance de notre flotte et dénonçait la négligence de l’administration de la marine. Cet enfant terrible n’était autre que le prince de Joinville. Pour toute réponse, on le mit à la tête d’une escadre, mais on

  1. Voyez dans la Revue du 15 mai 1844 l’article intitulé : Notes sur l’État des forces navales de la France.