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soupçonner qu’il y a quelquefois de l’intérêt à laisser les questions ouvertes. Encore moins oserait-on envisager une action à longue portée qui consiste à prendre des gages en vue de transiger dix ou quinze ans plus tard.

C’est dans cet esprit que les affaires de l’Afrique orientale ont été menées. En 1890, on crut faire merveille en troquant nos droits à Zanzibar contre un protectorat éventuel sur Madagascar. C’était renoncer à toute opération commune avec les Allemands, voisins de Zanzibar, et signifier clairement aux Anglais qu’en nous retranchant dans la grande île, nous abdiquions toute influence sur cette partie du continent. Nos missionnaires de l’Ouganda étaient abandonnés à eux-mêmes. Dès l’année suivante, le capitaine Luggard brûlait les établissemens de ces religieux et mitraillait leur petit troupeau sans défense[1].

Notre action en Abyssinie n’a pas été beaucoup mieux conduite. Le gouverneur français se cramponnait à la stérile station d’Obock. Il fallut huit ans d’efforts pour le déterminer à se transporter à Djibouti, occupé par des négocians français depuis 1887. Il mit encore plus de lenteur dans ses négociations avec l’empereur Ménélik. Le chemin de fer, si avantageux pour nous, de Djibouti à Addis Abbaba, faillit plusieurs fois sombrer, soit par la maladresse même du représentant de la France, soit par l’indifférence de notre gouvernement. Chaque pas en avant était suivi d’un retour en arrière. Une campagne diplomatique si facile, si légitime, qui devait nous assurer l’amitié et le concours du seul prince capable de faire reculer des troupes européennes, fut conduite avec une mollesse ou, pour mieux dire, un mauvais vouloir qui annula nos efforts antérieurs. Au moment décisif, lorsqu’en 1897 trois missions françaises durent coopérer avec les forces indigènes pour descendre sur le Nil, il semble que notre agent se soit étudié à les paralyser. Une arme excellente se brisait dans notre main. Le Négus, dégoûté de la France, n’avait plus qu’à traiter avec l’Angleterre : c’est ce qu’il devait faire le 15 mai 1902.

Impuissans sur la côte, pouvions-nous du moins agir par l’intérieur ? On y pensa dès 1894. La mission Liotard, devenue celle du capitaine Marchand, n’avait pas d’autre objet. Il s’agissait de devancer les Anglais sur le Haut-Nil et de donner

  1. Sur cet épisode, et sur les divers incidens qui ont précédé l’affaire de Fachoda, voyez Jean Darcy, Cent années de rivalité coloniale, Perrin, 1904, p. 362.