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parfaitement sincère quand il exprimait à Benedetti le désir de favoriser les vues de l’Empereur ; il était trop heureux d’avoir cette occasion de calmer les susceptibilités de la France. Si l’opération avait échoué, c’était dû à Benedetti, « qui appartient à cette époque politique où l’on confond l’intrigue avec l’habileté et sacrifie tout à la vanité. » Il se lança ensuite dans une foule de détails exagérés ou inexacts, démentis par ses propres discours. Il se plaignit que l’Empereur, à Biarritz, eût éludé, non seulement une entente, mais une explication. Sur les événemens de 1866, il fut impitoyablement railleur, et cette fois sans altérer les faits : « J’avoue que je n’ai pas compris à quelle pensée vous avez obéi dans votre médiation. Je me mets à votre place et je me demande ce qu’il y avait à faire ? Assurément rien de ce que vous avez fait. D’abord, considérant l’agrandissement de la Prusse comme un échec pour la France, et n’osant pas ou ne pouvant lui rien prendre, j’aurais voulu au moins laisser des germes profonds de division entre les deux puissances allemandes. Mais vous avez fait tout le contraire. Le Roi voulait garder la Silésie autrichienne : c’eût été un sujet éternel de haine entre les deux couronnes ; vous vous y êtes opposés et, par conséquent, comme aucune cause de colère ne subsiste entre les deux puissances, à la première occasion elles peuvent s’unir comme par le passé. De même pour le reste de l’Allemagne. En premier lieu, et à votre place, je n’aurais pas sacrifié si aisément le Hanovre, la Hesse et la Saxe. Ensuite, j’aurais voulu établir également des causes permanentes de discorde entre la Prusse et les États subsistans, tandis qu’au contraire vous avez jeté dans nos bras les princes allemands. En vérité, je ne m’explique pas ce qui a pu dévoyer à ce point un gouvernement qui paraissait naguère si habile et si résolu. » Les politiques enclins aux imprévoyances de la générosité feront bien de méditer cette leçon de conduite.

« Je ne discuterai pas, répondit Persigny tout ému de douleur, sur des faits plus ou moins exacts, plus ou moins justement appréciés. Je rends hommage à l’énergie de votre caractère et à la supériorité de votre esprit ; le succès a couronné vos conceptions. Vous avez pris en Allemagne la place de M. de Cavour en Italie, et toute l’Europe vous proclame le plus grand ministre du temps présent. Mais que d’actions de grâces vous devez à la fortune ! Si elle vous eût été contraire à Sadowa, tout cet édifice si laborieusement construit croulait à la fois, et vous seriez resté