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empressées, sympathiques, et c’est au milieu d’un immense concours qu’il visita à Augsbourg la maison qu’avait occupée sa mère, et le Lycée où il avait commencé ses humanités.

A Salzbourg la réception fut grandiose ; il n’y manqua, pour être tout à fait féerique, que l’accompagnement d’une de ces divines mélodies écloses dans la ville dont le nom est inséparable de celui de Mozart. La charmante cité était éclairée par un soleil radieux et fut en fête pendant les cinq jours que dura la rencontre impériale. Napoléon III n’avait amené aucun ministre : n’était-il pas, d’ailleurs, lui-même son véritable ministre des Affaires étrangères ? Son ambassadeur Gramont l’assistait seul. Au contraire, Beust, Andrassy et tout le ministère autrichien avaient accompagné François-Joseph et, tandis que les deux impératrices rivalisaient de beauté, des entretiens nombreux avaient lieu entre les deux empereurs et entre Napoléon III, Beust et Gramont.

Le concours des populations et des rois, la durée de l’entrevue et ce qu’on racontait de son caractère intime ravivaient l’inquiétude allemande, et inspiraient aux uns de l’espoir, aux autres de l’appréhension. On en vint à ne plus douter que ce ne fût le point de départ d’une alliance offensive et défensive de la France et de l’Autriche contre la Prusse, et surtout une machination pour assurer aux États du Sud une existence indépendante du Nord en constituant une confédération entre eux. Le roi Guillaume, d’abord nullement inquiet, avait même envoyé un télégramme de félicitations à François-Joseph en y ajoutant : « Rappelle-moi aux Majestés françaises. » Mais il avait été gagné à son tour par l’émotion générale, et son lecteur Schneider, lui ayant demandé s’il irait à l’inauguration du château de Hohenzollern, il lui répondit : « Qui sait si elle aura lieu ? Il faut attendre ce qu’on est en train de brasser à Salzbourg. »

On n’y brassait rien de sérieux. François-Joseph n’était pas plus belliqueux que Napoléon III, et Beust n’aimait que le bruit des dépêches, et non celui du canon. Dans leurs conversations ils étaient comme deux écuyers redoutant l’un et l’autre qu’on leur propose de sauter un fossé profond. « Ma politique, disait Napoléon III, est d’avoir le moins d’ennemis possible. » Il était surtout préoccupé de ne pas froisser la Russie, espérant ainsi la séparer de la Prusse, et ce fut avec une visible répugnance qu’il donna son assentiment à ce qu’au cas où la Russie passerait la