Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/836

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Blanqui, accompagné de quelques jeunes gens, depuis horriblement célèbres et du nom desquels je ne veux pas souiller cette page, qu’on appelait étudians parce qu’ils n’étudiaient rien, se rendit à Genève au premier Congrès de la nouvelle association, le 24 septembre 1866. Ce Congrès les éconduisit et ne voulut pas même glisser dans la politique par un vœu en faveur de la Pologne.

Alors s’ouvrit contre ces braves gens une campagne de dénigrement furieux, de haine et de calomnie, semblable à celle qui se poursuivait contre moi. Ils y résistèrent moins. Terrorisés, sentant le vide se faire autour d’eux, les mains des camarades s’écarter de leurs mains, les affiliations s’arrêter, ils capitulèrent. Ils persistèrent dans leur opposition au collectivisme allemand, mais renoncèrent à l’abstention révolutionnaire et votèrent que l’émancipation sociale du travailleur est inséparable de son émancipation politique.

Ils acceptèrent l’invitation du Congrès de la paix de se joindre à lui et d’adhérer à l’entreprise bourgeoise du renversement de l’Empire, à la condition que les bourgeois républicains, de leur côté, travailleraient à l’émancipation de la classe ouvrière. Ils envoyèrent des délégués à Genève pour stipuler ce pacte : « C’est promis, répondit Chaudey, au nom du Congrès bourgeois. Si les travailleurs aident les républicains à reconquérir la liberté, les républicains aideront les travailleurs à reconquérir le capital. » Le pacte fut conclu sur ce double cri de guerre.

Plus les esprits s’échauffaient dans l’enceinte du Congrès, plus ils s’animaient en sens contraire dans les rues et les cercles de Genève. L’assemblée turbulente y devenait odieuse. On affichait sur les murs des placards contre le langage antichrétien tenu par Garibaldi ; les pasteurs et les prêtres l’attaquaient dans la chaire ; des bandes de protestation s’organisaient dans les paroisses ; six cents habitans de toutes les classes votaient (11 septembre) une résolution enjoignant aux adhérens genevois de s’opposer énergiquement à toute résolution dangereuse pour la sécurité et compromettante pour la neutralité de la Suisse (12 septembre).

En suite de quoi, Fazy proposa de ne délibérer que sur un article inoffensif du programme. Les révolutionnaires protestent, les journalistes français vocifèrent. Fazy s’avance à leurs cris : « Vous avez compromis la liberté chez vous ; ne la compromettez pas chez nous. » La foule du dehors envahit la salle.