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vous dire l’emploi que j’en faisais quand vous êtes venu. Miss Walsh, qui m’accompagne souvent dans mes promenades hygiéniques du matin, m’intéresse comme un échantillon des opérations intellectuelles de l’esprit moyen. Elle m’a annoncé qu’il y avait eu ici, ou qu’il allait y avoir, — j’ai oublié le détail, — une cérémonie religieuse, une réunion, je ne sais plus quoi, mais ayant expressément pour objet des prières pour demander la pluie. Sur quoi je lui ai demandé si elle croyait à l’efficacité de tels actes pour modifier les conditions météorologiques du canton ; et elle a manifesté une certaine surprise de ce que, moi-même, je parusse en douter. Alors je me suis amusé à avoir avec elle, sur ce sujet, un petit entretien scientifique, illustré par quelques expériences. Je me suis fait apporter ici cette côtelette de mouton, — mon dîner de ce soir. Nous l’avons pesée; et je lui ai demandé si elle estimerait utile et raisonnable de faire une prière pour que la côtelette devînt plus grosse. Elle m’a répondu que non. Je lui ai demandé ce qui l’avait amenée à me faire une réponse aussi sage : à quoi elle m’a répondu que, de faire devenir la côtelette plus grosse, ce serait un miracle, et que les miracles, comme le sait tout protestant, ont pris fin avec la mort du dernier apôtre. « Fort bien, lui ai-je dit : occupons-nous maintenant de la pompe à air! » Je lui ai donc expliqué la nature du vide. J’ai fait le vide dans la cloche de verre, et je lui ai montré comment, en tournant un robinet, j’y faisais aussitôt rentrer une masse d’air. Et je lui ai dit : « L’idée vous viendrait-elle, ma chère jeune amie, de prier pour que cet air ne rentrât point dans cet espace vide ? » Elle a reconnu que cette idée ne lui viendrait pas; et je le lui ai dit, — j’étais en train de le lui dire lorsqu’on m’a annoncé votre bonne visite, monsieur Glanville : « Mais, en ce cas, pourquoi, — en demandant à Dieu de faire pleuvoir, — pourquoi lui demandez-vous de réaliser, dans l’atmosphère du globe tout entier, le même miracle que vous admettez vous-même qu’il serait absurde d’attendre de lui par rapport à ce joujou pneumatique que voici ? » Voyez-vous, monsieur Glanville, c’est avec des argumens de ce genre que l’on a chance d’ouvrir les yeux d’une jeune dame telle que miss Walsh, que l’on a chance d’ouvrir les yeux de tous les étrangers survivans du passé qui, ici même et partout, se réunissent en congrès pour se quereller sur des détails du culte hébraïste[1]. Et si un catarrhe dont je suis un peu atteint veut bien me le permettre, j’ai l’intention, avec ma machine pneumatique, de faire ici une petite conférence publique sur le même sujet...

— Comme je vous serais reconnaissant, dit alors Glanville, si vous pouviez venir passer un ou deux jours chez moi, à une heure d’ici, et faire devant mes amis cette petite conférence de la causation !

— Je vous remercie! dit gravement le philosophe. La société, en général, n’est guère mon fait : la société élégante n’est pas mon fait du tout. Mais avec cela, j’ai toujours soutenu qu’une conversation rationnelle était un stimulant précieux aussi bien pour les organes digestifs que pour l’appareil cérébral ; sans compter que, peut-être, si je trouvais le moyen de me rendre à votre aimable invitation, vous pourriez m’aider dans une étude

  1. Un congrès de pasteurs anglicans devait avoir lieu prochainement dans la petite ville où Cosmo Brock était venu passer l’été.