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« La belle âme ! » s’écrie M. Jaurès agacé. Il nous serait facile de dénoncer la discorde au camp d’Agramant. Mais elle n’est qu’apparente, et nous savons bien que les socialistes, même lorsqu’ils se détestent entre eux, ce qui est fréquent, sont toujours prêts à se réunir contre nous. Ils continuent leur propagande dans les journaux, dans les revues, dans les livres, dans les écoles, dans les casernes. Tous les moyens et tous les endroits leur sont bons. Une séance comme celle de l’autre jour, un discours comme celui de M. Chaumié nous font sans doute passer un bon moment ; mais qu’en reste-t-il ? L’impression en est éphémère, et ce qui reste vraiment, c’est un ministère qui, ne pouvant et ne voulant pas se passer des socialistes, quoiqu’ils ne soient que 47, retombe inévitablement sous leur joug.

Parfois un ministre, comme M. Chaumié, se laisse aller à une indignation très honorable pour lui ; il pousse un cri, il fait un geste, il se débat dans son inquiétude patriotique. Nous lui savons gré de l’intention comme il convient, mais ne faut-il pas constater aussi son impuissance ? Les causes n’en cesseront pas de sitôt. En attendant, la propagande de M. Hervé et de ses pareils continue ses ravages, et nous voyons poindre une génération où les idées qui nous sont chères s’obscurcissent de jour en jour davantage. Quel chemin parcouru depuis cinq ans ! Nous le mesurons avec anxiété ; les socialistes le mesurent avec joie. Et nous avons bien raison les uns et les autres !

Est-il bien nécessaire de parler dès aujourd’hui d’un incident violent qui s’est produit, le 10 juin, au Palais-Bourbon, et à la suite duquel la Chambre a décidé la nomination d’une commission d’enquête sur ce qu’on est convenu d’appeler « le million des chartreux ? » Personne n’y pensait plus, sauf, paraît-il, M. Combes qui, dans un moment d’impatience rageuse, a remis lui-même la question sur le tapis. La suite montrera s’il a bien ou mal fait. L’affaire avait été étouffée, et mal étouffée comme il arrive presque toujours en pareil cas. Il y a eu tentative de corruption : M. Combes l’a dit à la Chambre. L’auteur de la tentative était connu de lui et de quelques autres personnes : pourquoi donc la justice n’a-t-elle pas suivi son cours ? On a parlé d’un « intérêt supérieur » qui conseillait, ou même enjoignait le silence. Qu’est-ce que cela signifie ? La Chambre a compris seulement qu’on lui cachait quelque chose ; elle a voulu savoir quoi, et le sentiment qu’elle a éprouvé a été si général et si fort que nul n’a pu songer à y faire obstacle. La nomination d’une commission d’enquête a été votée à l’unanimité. Nous ne sommes pas en principe partisans