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n’eût pas eu à changer de sentiment. Tout au contraire. Leur lecture n’eût fait que le confirmer dans son opinion. Loin d’ajouter à la beauté dramatique des ballades populaires qu’il a retouchées, l’auteur du Barzaz-Breiz en a le plus souvent affadi le caractère et atténué l’accent. On ne sophistique pas impunément la nature. Nul art, si savant soit-il, n’égalera jamais la libre fougue de cette poésie sans apprêt. Il y a dans les Gwerziou Breiz-Izel une vie, une force, une émotion que l’on chercherait en vain au même degré dans le Barzaz-Breiz. Luzel a eu raison d’écrire que « le cœur du peuple bat en ces chants spontanés[1]. » Chacun d’eux raconte, ou plutôt met en scène, sous forme impersonnelle, quelque épisode poignant de la chronique paysanne. Toujours la matière est tragique, et c’est toujours aussi en manière de drame qu’elle est traitée. Le poète n’intervient pas dans son œuvre, sauf, parfois, au début, pour recommander l’attention. La plupart du temps, il nous jette in medias res. Rien de plus rapide que l’exposition. En quatre vers, nous sommes renseignés sur la psychologie du personnage principal.


Jeanne Le Judec est demoiselle,
Et ne daigne filer sa tâche
Que si le fuseau est d’argent,
La quenouille, de corne ou d’ivoire.


C’est assez pour nous avertir qu’un cœur si fier aura des façons peu communes de souffrir. Et, tout de suite, nous voici en pleine action :


— Petite Jeanne Le Judec, entendez-vous,
Aussi blonds que l’or sont vos cheveux ;
Fussent-ils plus blonds de moitié,
Vous n’épouserez pas Philippe Ollivier.
Il est allé à Guingamp, depuis jeudi,
Et c’est pour recevoir les Ordres.


Le coup est droit. Jeanne le supporte, en apparence, sans broncher. Peut-être se refuse-t-elle à croire à la trahison. Elle continue, comme si de rien n’était, d’ourler en silence les mouchoirs qu’elle destinait à son fiancé. Aussi bien, songe quelque bonne voisine, « pour orner le calice » du nouveau prêtre, « ils seront charmans. »

A l’acte suivant, même décor. Philippe Ollivier, de retour

  1. Gwerziou Breiz-Izel, Chants populaires de la Basse-Bretagne, recueillis et traduits par F. -M. Luzel, t. I, p. 3.