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poète. Personne au monde ne sait si le ministère subsistera dans trois jours. Il a contre lui M. Molé, M. de Lamartine, M. de Salvandy, M. Villemain, M. D… Je parcours tous les degrés, toutes les notes de la gamine politique. Et, qui pis est, il a pour lui la gauche, danger nouveau. Pourtant, à force de dextérité, d’habileté dans le tête-à-tête à détacher les députés un à un, de tour de force de paroles dans les explications demandées, et où Thiers saurait se réconcilier la droite, sans s’aliéner la gauche, ils pourront emporter le vote des fonds secrets, et par conséquent rester. En ce cas, Mickiewicz aurait certes des chances ; ce ministère pourrait (avec raison) croire s’honorer devant l’opposition de gauche en le nommant, et cela équivaudrait à un doigt de gant jeté à la Russie sans danger. Cousin, de plus, tout sans cœur qu’il est, ose et sait vouloir quelquefois. Dans tous les cas, cela tarderait ; je crois qu’il faudrait attendre jusqu’après le budget, puisque c’est alors seulement que les fonds pourraient être votés pour une telle chose. Voilà, en mettant la chose au mieux, les termes les plus prochains. Je n’en parlerai pas à Cousin, que je n’ai pas encore vu depuis qu’il est ministre, et les paroles qu’il dirait ne signaleraient rien pour moi qui lui en ai tant entendu cracher : je craindrais, si elles étaient favorables, d’être dupe et de leurrer votre ami. Si je savais quels amis ici appuient Mickiewicz près de lui, je pourrais apprécier un peu la force du ressort, l’autorité et la valeur des témoignages. La question, au reste, me paraît simple, puisqu’il s’agit, non pas de choisir entre deux chaires, mais entre une chaire positive, et une promesse de chaire qui, en mettant tout au mieux, ne peut avoir plein effet que dans deux ou trois mois : avenir fabuleux désormais pour tout ministère !

« Renduel, à son retour, écrira à M. Ducloux, s’il le juge à propos : car il est allé à sa terre[1]et a fermé son magasin, comme il fait maintenant très souvent depuis qu’il est propriétaire : il est las de la librairie. Si ses arrangemens ne conviennent pas à M. Ducloux, que celui-ci fasse à sa guise. Mais je dirai à Renduel la chose, dès son retour, dans une dizaine de jours. Hormis les deux ou trois premiers jours, je ne m’occuperai pas du tout de cette publication ; c’est bien assez d’être accouché, à d’autres l’enfant !

  1. Le château de Beuvron, dans la Nièvre, que Renduel venait d’acheter et où il mourut le 19 octobre 1874.