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Moricière, notre héros du jour, qui est arrivé depuis peu d’Afrique, et le plus jeune de nos généraux. C’est un nom tout populaire, les enfans savent son nom et courent après lui ; et j’ai fait comme les enfans. Vous savez tous mes instincts belliqueux ; continuez d’en sourire.

« J’ai reçu, je ne sais par qui, les vers de M. Delâtre. J’ai lu l’éloge de M. Porchat. Voyez-vous, la gloire n’est pas de ce monde. Le succès est au sot comme au fin, il est à tout le monde et c’est pour cela qu’il est fait. On me dit qu’il y a dans la Gazette d’Augsbourg un article où j’étais comparé à Planche et à Janin : quoi que je fasse en critique, c’est là le comble de la gloire où j’atteindrai. Vos Deux Voix et les fables de M. Porchat seront appareillées tout de même, et cela par les mains les plus habiles et les plus délicates. Après quoi, il n’y a qu’à se tourner vers Dieu, la seule gloire, ou vers l’ironie, la seule vérité après Dieu.

« Donnez-moi des nouvelles de votre santé, chère Madame ; j’embrasse Olivier, les petits, je serre la main à Lèbre, et, après tous les tributs de cœur payés aux deux bouts du lac, je vous prie d’offrir de loin mes respects à M. Erskine.

« A vous, chers amis. »


3 août 1840.

« Chère Madame,

« Votre lettre m’a fait grand plaisir, surtout par l’idée que votre santé était bien, que l’aplomb était retrouvé, que cette organisation de Romaine que vous avez reçue de la nature triomphe sans peine cette fois des nerfs et autres superstitions acquises, bref que tout se passera aisément, promptement, à bonne fin.

« Nous sommes ici dans des émotions d’un autre genre, dans ces émotions belliqueuses que vous savez que j’aime tant et qui, cette fois, pourraient avoir quelque velléité sérieuse plus qu’en d’autres circonstances, ô noble Helvétienne. Dites à Olivier qu’il lise (à titre d’historien) l’article de la dernière Revue des Deux Mondes du 1er août, intitulé : Espagne, Orient, signé XXX. C’est là la pensée vraie et directe du Cabinet[1]. Pour moi, je ne suis pourtant pas si belliqueux que de sortir de mon Port-Royal : vous en verrez trace dans cette même Revue. Pourtant j’avance peu : je vais à très petits pas, et ma pensée n’est point sans bien

  1. L’article du 1er août 1840 sur l’Espagne et l’Orient est de Thiers, à ce moment Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères.