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minutieuse et documentée du passé. On n’a ni le sens de la vérité, ni le sens historique, qui en est une forme rétrospective, une application à la réalité disparue. Le roman historique n’existe pas parce qu’il n’y a encore ni roman ni histoire.

Que sont donc les quelques œuvres citées par M. Nield et antérieures au XIXe siècle ou plus exactement à l’année 1814, date de Waverley, le premier roman de Walter Scott ? Il y en a une française, la Princesse de Clèves, et quinze anglaises, représentant onze auteurs : Defoe, T. Smollet, S. Richardson, Fielding, Goldsmith, Brown, Godwin, Eliz, Helme, Jane Porter, A. M. Porter, Jane Austen.

Avec Mme de La Fayette et la Princesse de Clèves, le réalisme psychologique emprunte le cadre de l’histoire sans souci de la vérité historique. Le roman se rapporte, extérieurement, à la cour de Henri II. En réalité, les personnages sont des contemporains de l’auteur : on les reconnaît sous des noms d’emprunt. Encore faut-il remarquer qu’ils ne nous sont pas représentés dans ce qu’ils ont de particulier, d’historiquement déterminé, mais bien plutôt de général, d’éternel et d’humain. Ce petit chef-d’œuvre procède du même esprit que les tragédies de Racine. Voilà pourtant le seul « roman historique » du XVIIe siècle qui figure dans le Guide de M. Nield ; et, d’après la fiction, il est rapporté à l’époque de Henri II. Comme on voit bien, par un tel cas, l’artifice de telles classifications !

Sans s’arrêter ni à la Clarisse Harlowe, de Richardson, ni au Tom Jones, de Fielding, ni au Vicaire de Wakefield, de Goldsmith, ni aux trois autres œuvres qui, classées dans la liste supplémentaire, ne sont pas données comme romans proprement historiques, il faudrait peut-être, à travers le Journal de la Peste et les Mémoires d’un cavalier, de Daniel Defoe, et le Roderick Random, de Smollet, — un roman picaresque, — arriver jusqu’au Saint Léon, de Godwin, pour trouver un véritable roman historique. Il se rapporte au XVIe siècle et a pour sujet la bataille de Pavie. Mais déjà une ère nouvelle s’annonçait : il ne faut pas oublier que la première grande publication de Walter Scott, les Minstrelsy of the scottish border, est de 1802-1803. Rien d’étonnant dès lors si Thaddée de Varsovie (1803) et les Chefs écossais (1810) réalisent assez le type du genre pour que l’auteur, Jane Porter, oubliant le précédent de Godwin, s’en réclame hardiment comme d’un titre à son invention. La voie était ouverte. « D’autres dames, avec le courage de leur sexe, mais avec une connaissance du sujet remarquablement plus faible, s’en prirent à la muse de l’histoire. Rien ne fut fait de réellement important jusqu’à ce que sir Walter Scott eût tourné son