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simples et vrais par excellence. Et sans doute il les agrandit à la taille, il les élève à la hauteur de son âme ; mais il ne les fausse ou ne les complique jamais. Jamais il ne s’écarte de la droite, de la commune, de l’universelle vérité. Rien ne lui est plus étranger, plus odieux que la recherche et le raffinement, si ce n’est la singularité ; et, jusque dans ses plus sublimes transports, il garde tant de mesure, de logique et de raison, que son génie, même au comble de la passion, est encore, est toujours du bon sens exalté.

Telle sera, si vous le voulez bien, la leçon que nous aurons reçue du maître aujourd’hui. Il pourrait nous en donner bien d’autres ; mais je n’en vois pas une dont nous ayons un plus pressant besoin.

D’un bout à l’autre du terrible rôle d’Alceste, Mlle Litvinne a prodigué les éclats sans violence et les douceurs sans mollesse d’une voix à nulle autre pareille pour la fraîcheur, pour l’étendue et pour l’égalité. Parmi les sentimens qui se partagent l’âme exquise et sublime de la reine, il nous a paru que l’artiste avait su rendre, encore mieux que l’héroïsme et le désespoir, la tendresse et la mélancolie. Pendant le second acte surtout, Mme Litvinne a constamment fait preuve d’un goût aussi pur que sa voix.

M. Beyle, toujours en progrès, a très bien dit et chanté de même le rôle admirable musicalement et moralement pitoyable d’Admète. Et, s’il s’en faut que M. Dufranne (le grand prêtre) ait toute la grandeur et toute la simplicité classiques, il ne s’en faut pas de beaucoup.

Enfin la représentation visible du chef-d’œuvre, — décors, costumes, danse, — en accroît véritablement la beauté. Le ballet du second acte est un assemblage, un jeu exquis de couleurs et de mouvemens. Saltaverunl et placuerunt. Deux petites créatures bondissantes, aux tuniques de safran et de pourpre, aux tempes ceintes de géranium ou de verveine, ont plu comme des figurines détachées des flancs d’un vase antique et devenues vivantes. Et, derrière leurs silhouettes agiles et leurs gestes aigus, c’était bien le ciel, c’était bien la terre de la Grèce qui formaient un paysage admirable de lignes et de clarté.


CAMILLE BELLAIGUE.