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REFLEXIONS HISTORIQUES SUR MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE


Mihi Galba… nec beneficio, nec injuria cogniti.
Tac. Hist., I. 1.


Il est du destin de tous ceux qui occupent des postes élevés dans le monde de fixer les regards de tous les hommes ; chacun en porte son jugement et la postérité prononce l’arrêt définitif. Mais ce juge suprême a besoin de se tenir en garde contre les pièces que l’on met sous ses yeux ; elles sont trop souvent dictées par la passion et l’esprit de parti. C’est ce qui arrive surtout lorsque les événemens sur lesquels elles doivent éclairer le juge se sont passés dans des temps de troubles et de révolutions. Si le juge n’écoute alors qu’un parti, il prononce une sentence qu’il est quelquefois dans le cas de réformer très longtemps après.

Par exemple, tous les contemporains de l’infortunée Marie Stuart, en compatissant à ses malheurs, avaient prononcé qu’elle les avait en quelque sorte mérités, au moins de la part de la justice éternelle, et cependant, deux siècles après sa mort, le docteur Gilbert Stuart, suspect sans doute à cause de son nom, mais dont l’ardent calvinisme prouve l’impartialité, a pris la défense de cette princesse et l’a victorieusement justifiée[1] N’avons-nous pas vu aussi Horace Walpole parvenir à rendre douteux si les crimes de Richard III furent réels ou supposés[2] ? Travaillant sur des ouvrages qui tous chargeaient la mémoire du dernier des Plantagenets, il n’a eu d’autres ressources que de mettre les historiens en contradiction avec eux-mêmes ou entre eux. Aussi n’a-t-il osé intituler son livre que Doutes historiques, et n’est-il parvenu qu’à exciter des doutes. Gilbert Stuart, au contraire, avait sur lui l’avantage de travailler sur des pièces

  1. Histoire d’Ecosse depuis l’établissement de la Réforme jusqu’à la mort de la reine Marie, par Gilbert Stuart. Londres, 1782. — E. D.
  2. Doutes historiques sur la vie et le règne de Richard III, par Horace Walpole. Londres, 1768. Louis XVIII faisait grand cas de cet ouvrage. Il écrit quelque part qu’il l’avait traduit en français et que son manuscrit fut sans doute détruit avec d’autres papiers, lorsqu’en 1791, il s’enfuit de Paris. — E. D.