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vie que menait Marie-Antoinette avec le ton grave qu’ils avaient vu à l’ancienne Cour les scandalisait, et les jeunes gens y crurent aussi, les uns par méchanceté, les autres par la légèreté propre à leur âge, mais surtout à la nation française, qui fait que l’on trouve plus commode de croire tout de suite le mal que d’approfondir la vérité.

Une circonstance prêta du secours aux calomniateurs. La nature s’expliqua chez Louis XVI beaucoup plus tard qu’elle ne s’explique ordinairement chez les hommes ; l’on crut qu’elle était muette ; et, lorsque les faits vinrent prouver le contraire, la réputation de Marie-Antoinette était déjà attaquée. Il en résulta que la naissance d’un héritier de la couronne, qui aurait dû rendre sa mère plus chère à la nation et qui eût, quelques années plus tôt, produit cet effet d’une manière incalculable, ne fit que donner des armes à ses ennemis. On ne voulut, ou du moins un grand nombre de personnes ne voulurent pas croire que la naissance des enfans de Louis XVI détruisait l’opinion qu’on avait prise sur lui ; elles n’y voulurent voir qu’une preuve de l’inconduite de son épouse. Ainsi, tout tourna contre cette malheureuse princesse, jusqu’à sa tendresse maternelle ; on faisait malignement observer que les femmes en éprouvent davantage pour les enfans de l’amour que pour ceux de l’hymen.

Quant à moi, je répète ce que j’ai dit au commencement de cet ouvrage, j’ai été à portée de comparer les discours que l’on tenait sur elle avec les faits. J’aurais désiré qu’un maintien plus réservé de sa part l’eût mise à l’abri de la calomnie ; mais je l’ai vue traiter avec autant de distinction des personnes avec lesquelles on ne lui a jamais attribué de liaisons, que celles avec lesquelles on lui en a prêté de coupables, ce qui me laisse le droit de penser qu’il n’y avait pas plus de mal d’un côté que de l’autre. Il serait à souhaiter que ceux qui, peut-être pour justifier leur insensibilité à ses malheurs, se plaisent à lui chercher des fautes graves, voulussent bien en examiner les preuves, et qu’ils se rappelassent cette célèbre parole d’un empereur païen : Ne tient-il qu’à accuser !

Elle ne s’aperçut que trop qu’elle avait perdu l’amour des Français, et que les personnes pour lesquelles elle avait le plus d’amitié étaient devenues l’objet de la haine publique. Sa fierté ne lui permit plus de se montrer aussi souvent qu’elle le faisait dans ses jours de triomphe ; mais elle ne changea ni son genre