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était dévoué, et il est plus que probable qu’il avait ses vues en faisant ce choix. Quoi qu’il en soit, il était fort naturel que la jeune archiduchesse accordât sa confiance à l’homme que sa mère et la famille de son mari s’accordaient à placer auprès d’elle. Aussi, l’abbé de Vermont la possédait-il, autant qu’on peut posséder celle d’une enfant, avant qu’elle quittât Vienne.

Arrivée en France, l’abbé fut son secrétaire intime. Il lui rendait compte des lettres qu’elle recevait, corrigeait les fautes de français qui se trouvaient dans les siennes, quelquefois même il les faisait, lorsqu’elle les trouvait trop difficiles. Sa conduite fut prudente ; la Dauphine lui fit obtenir, peu après son mariage, une abbaye d’un revenu honnête, mais borné ; il s’en contenta. Il n’eut point de luxe, point d’ostentation de sa faveur ; jamais, jusqu’en 1787, on ne le vit trancher du ministre. La duchesse de Polignac voulut l’attirer dans sa société, il s’y refusa, et déclara nettement à la Reine, qui lui en parla, qu’il ne voulait point être souffert dans une maison où il sentait qu’il serait déplacé. Ses mœurs étaient d’ailleurs, au moins quant à l’extérieur, aussi réglées que sa vie était simple et frugale. Il y a même lieu de croire qu’elles étaient vraiment pures, car jamais on ne l’a attaqué sur ce chapitre. Son désintéressement, sa modestie, persuadèrent à la Reine qu’il la servait par pur attachement, et la confiance qu’elle avait en lui ne connut point de bornes.

Ce fut un grand malheur pour elle, car cet homme, qui lui était si dévoué, avait peu d’esprit et l’avait faux. Comme il était excessivement indiscret avec le peu de personnes qu’il voyait et qu’il avait assez mauvais ton, on l’entendait souvent dire, à propos de ce que la Reine faisait ou comptait faire : Nous avons fait ceci, ou bien : Nous ferons cela ; il blâmait sans ménagement ce qu’il n’avait pas conseillé, et comme, au contraire, on l’a toujours vu défendre avec chaleur toutes les fautes de Marie-Antoinette, et surtout celles qui l’ont si injustement fait accuser d’avoir l’âme dure et méchante, il y a tout lieu de croire qu’il les avait inspirées. Il lui faisait sans cesse l’éloge de l’archevêque de Toulouse : la malheureuse Reine le crut, et l’opinion particulière qu’elle avait de lui, jointe à celle qu’elle voyait que le public en avait conçue, déterminèrent son élévation au ministère.

On sait assez par quelle affreuse ingratitude il paya ses bienfaits. Je rappellerai seulement qu’en achevant de se déshonorer par un serment dont le refus a comblé de gloire le clergé de