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Ces bases principales et invariables ne seront donc que les bases d’une paix préliminaire. L’Angleterre n’y est point comprise, et l’intervention de l’Angleterre, inévitable au cours des conférences, remettra tout en question. Les alliés y comptent et les pourparlers vont s’ouvrir avec les envoyés anglais. Les alliés ne s’engagent, en réalité, qu’à supprimer le Grand Empire, à titre de préliminaire de la paix. Ils se croient dorénavant sûrs de l’Autriche. Le 16 mai, Stadion assiste, chez Alexandre, à un conseil de guerre où Wolkonski, Toll et Knesebeck disposent un plan d’opérations qu’il transmet aussitôt à Vienne. Deux jours après, les plénipotentiaires anglais arrivent à Wurschen.

Tout est calculé pour attirer Napoléon dans le piège : propositions édulcorées de l’Autriche, afin de motiver la médiation et le congrès ; exigences croissantes, arrêtées secrètement, et qui l’amèneront, le congrès ouvert, à rétracter son acceptation. Si, par extraordinaire, il ne perce point la ruse, la prétention insolente de la Prusse, qui rappelle l’ultimatum de 1806, provoquera sa colère et le poussera à tout briser. Alors le tour sera joué. La France, à laquelle on ne fera connaître que les propositions ostensibles et restreintes de Bubna, saura que Napoléon a refusé cette paix modérée, conciliante, qui laisse à la France « la ligne du Rhin, plus la Hollande, le royaume de Westphalie, comme État allié, le Piémont, comme département français, la Toscane, Rome, la Lombardie, Naples, comme principautés de la famille, » tout l’essentiel du Grand Empire ; et que Napoléon a rompu l’alliance autrichienne pour s’être entêté au duché de Varsovie, aux villes hanséatiques, à la Confédération du Rhin, à l’Illyrie ; qu’il a méconnu les « admirables conseils donnés sincèrement, et accompagnés des formes les plus douces[1] » par Metternich, et contraint la loyale Autriche à passer aux coalisés, dans l’intérêt même de la France, que Napoléon ruine et perd par son ambition démesurée. Ainsi, ce jour même, 16 mai, où Bubna se présente au quartier général de Napoléon, afin de le persuader que, s’il adhère aux propositions restreintes de l’Autriche, l’Autriche posera sa médiation en sa faveur, neutre, au moins, si elle ne le soutient pas, Stadion établit au quartier général des alliés « une entente complète » sur des propositions infiniment

  1. Thiers, t. XV, p. 345.