Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

service de trois ans, lequel avait déjà remplacé, il y a une quinzaine d’années, le service de cinq ans.

Lorsqu’on étudie ces différens systèmes d’organisation militaire, on s’aperçoit aisément qu’ils participent chacun, à des degrés divers, de deux types extrêmes et primordiaux qui sont situés, pour ainsi dire, aux deux pôles opposés de la conception qu’on peut se faire d’une armée.

A l’un de ces pôles figure notre ancienne armée, telle que l’avait conçue, comprise et organisée la génération militaire issue des guerres du premier Empire. Cette armée, composée d’hommes « tombés au sort, » renforcés d’autant de volontaires, engagés ou rengagés que possible, devait avoir un effectif restreint, mais d’une solidité à toute épreuve. Elle devait, en réalité, constituer une société dans la société, avoir une vie à elle séparée de la vie générale, côtoyer le « civil » sans jamais se mélanger à lui.

L’homme, enlevé à son village, séparé des siens, transporté à cent lieues de son foyer, sans espoir de retour avant de longues années, sans autres amis que ses camarades de chambrée, sans autre soutien moral que l’esprit de corps et l’amour du drapeau, prenait peu à peu une personnalité nouvelle, des habitudes, des pensées, des passions absolument étrangères à la société qui l’entourait. Les officiers, du reste, comme les soldats, condamnés au célibat, perpétuellement ballottés d’un bout de la France à l’autre et sans autre horizon que l’avancement ou la retraite, s’en détachaient également. Les uns et les autres étaient bien ce qu’un auteur moderne a appelé des « déracinés ; » mais replantés dans une terre spéciale, ils y jetaient des racines nouvelles et y donnaient des fruits d’une saveur particulière et voulue. Le régiment devenait leur famille, et le drapeau remplaçait le clocher du village. La caserne était une sorte de couvent, d’un genre un peu particulier il est vrai, où l’exercice remplaçait les offices ; les récits de combats et de batailles y tenaient lieu de sermons et les histoires égrillardes, où l’on daubait sur le « pékin », y suppléaient aux oraisons. En somme, tous ces hommes étaient ou devaient être de véritables « lansquenets. »

Ainsi composée d’hommes voués à l’état militaire, devenus incapables de tout autre métier, cette armée est forcément petite, mais elle est, en revanche, forte, maniable, facile à mettre en action, sans apporter aucun trouble à la marche ordinaire de la