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car les gémissemens sont stériles. Cessons d’exhaler de sinistres imprécations et recherchons plutôt s’il n’existe pas quelques moyens d’atténuer le mal, et d’utiliser — au mieux — les très faibles élémens dont la loi nouvelle va constituer l’armée. Ne jetons pas le manche après la cognée. Après tout, il y a milice et milice, et peut-être y en a-t-il qui pourraient être bonnes. En tout cas, il y en a de moins mauvaises que d’autres ; c’est une question d’organisation, de précautions à prendre, de mesures sagement compensatrices à arrêter. La situation créée par l’adoption du service de deux ans place l’armée française dans une situation inférieure à celle que donnait le service de trois ans, cela est vrai ; cette situation est mauvaise en elle-même, c’est également vrai ; mais elle ne doit pas être considérée comme désespérée, à la condition qu’on ne perdra pas de vue qu’il s’agit de l’organisation d’une milice nationale dont le rôle est avant tout défensif, et que la valeur d’une pareille milice est strictement subordonnée à celle d’un cadre solide préexistant, permanent, qui forme comme l’ossature de ce grand corps.


II

Lorsqu’on lit les discussions qui viennent d’avoir lieu, on reconnaît que la plupart des orateurs opposés à la loi nouvelle ont laissé un peu de côté la question de principe et les considérations d’ordre général, pour insister surtout sur les difficultés pratiques et matérielles de l’application de la loi. Ces griefs, — pour l’infanterie du moins, — se réduisent en somme à deux principaux, fort graves, il est vrai.

Deux classes seulement sous les drapeaux ne fourniront, dit-on, qu’un effectif de paix, notoirement insuffisant pour remplir les unités existantes ; le recrutement des cadres inférieurs, déjà si difficile, sera définitivement compromis, sinon tari dans sa source même[1].

Examinons ce qu’il y a de vrai dans ce double reproche.

  1. Je ne m’occupe ici que de l’infanterie. La situation faite aux armes spéciales, à la cavalerie surtout, par le service de deux ans est bien plus délicate. Il est évident qu’il est fort difficile de former un cavalier en vingt mois avec nos paysans actuellement si complètement étrangers à tout ce qui concerne le cheval et l’équitation. Il est évident également que la cavalerie ne peut compter au moment d’une mobilisation sur un appoint de réservistes, car d’un côté ceux-ci auront perdu l’habitude du cheval, et de l’autre les régimens de cavalerie, devant prendre le large dès le premier jour d’une déclaration de guerre, n’ont pas le loisir d’attendre et d’incorporer les réservistes.
    À cette situation, il n’existe d’autre remède direct que celui qu’emploie l’Allemagne et qui consiste à avoir une durée de service actif différente et plus longue pour la cavalerie que pour l’infanterie. Mais je ne crois pas que pareil remède soit applicable en France.