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mains desquels passent les contingens successifs comme en un cadre permanent d’instructeurs exercés. Le recrutement de ce cadre lui-même est assuré par plusieurs milliers de soldats déjà rengagés eux-mêmes, en vue d’obtenir ultérieurement le grade de sous-officier. Voilà ce qui constitue pour l’armée allemande une force et une supériorité écrasantes.

Et comment l’empire allemand s’y prend-il pour avoir tant de rengagemens ? Les conditions qui sont faites aux sous-officiers qui rengagent sont cependant assez médiocres. Elles sont certainement très inférieures aux avantages de toute nature que la loi réserve chez nous, — on pourrait dire prodigue, — aux sous-officiers qui rengagent. On ne peut donc pas dire que ce soit seulement la séduction exercée par l’espoir d’une situation lucrative ou honorable qui conserve à l’armée allemande tant de sous-officiers rengagés, alors qu’il y en a si peu chez nous. Le prestige de l’uniforme y est bien pour quelque chose, il est vrai ; mais, malgré les efforts d’une éducation inconsciemment perverse qui s’étudie à éloigner nos enfans de l’armée, le prestige du soldat n’est pas encore tout à fait mort chez nous ; le métier militaire n’a pas perdu absolument toute action sur nos imaginations et nos cœurs. On s’étonnera davantage encore de cette abondance de sous-officiers en Allemagne, si l’on observe que le brusque et énorme développement de l’industrie depuis vingt-cinq ans aurait dû, semble-t-il, porter un coup sensible à leur recrutement. N’a-t-il pas fallu un nombre extraordinaire de contremaîtres, chefs d’ateliers, mécaniciens, comptables et employés de bureau pour toutes ces industries, et n’est-ce pas là précisément le personnel qui, dans nos idées reçues, répond à celui des sous-officiers de l’armée ?

Il doit y avoir une autre raison.

Pour ma part, je ne crois pas que le petit nombre de nos rengagemens soit dû exclusivement, ni au manque de prestige de l’uniforme, ni au dégoût de la jeunesse pour le métier, ni surtout à l’insuffisance des avantages matériels assurés à nos sous-officiers. Le service de deux ans ne paraît pas devoir aggraver sensiblement sous ce rapport une situation déjà très préoccupante avec notre service actuel. C’est que les causes du mal ne sont pas seulement extérieures à l’armée, elles sont également intérieures. La pénurie de sous-officiers rengagés dont souffre l’armée est, dans une certaine mesure, la conséquence et de la