Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On comprend aisément la fierté avec laquelle le sous-officier étalera ses galons et son autorité en présence de ses amis, parens et concitoyens ; combien il jouira plus, chez lui, des avantages de son grade que dans une localité où il est exilé, seul, sans relations. On comprend également que, s’il est ainsi près de son village et des siens, il hésitera avant de quitter une situation où il est honoré, envié, assuré de l’avenir, pour rentrer dans la vie civile, et retrouver une situation précaire, souvent même inférieure à celle des hommes qu’il aura commandés, et auprès desquels il doit continuer à vivre dans la vie civile.

Avec le service de deux ans, la libération surviendra précisément à l’heure où la nostalgie du « chez soi » est la plus forte chez le soldat. La première année a été occupée par les difficultés de l’apprentissage militaire, une partie de la seconde est trop souvent livrée aux plaisirs malsains et corrupteurs de la ville, mais ceux-ci s’épuisent vite, le regret revient plus fort et la nostalgie s’empare de l’homme.

C’est à la fin de cette deuxième année que se place cette crise aiguë, chez la plupart des jeunes gens, et c’est précisément à ce moment que nous leur demandons de rengager définitivement. Pour rentrer au pays, la plupart quitteront honneurs et galons, et préféreront les chances du plus pénible métier. Le meilleur moyen d’atténuer la gravité de cette crise et d’en diminuer l’acuité serait encore de laisser le sous-officier près de chez lui, et au milieu des siens. Ce serait un nouveau service, et non le moindre, que rendrait l’adoption du recrutement régional auquel un préjugé injustifiable s’oppose encore chez nous.

L’urgente nécessité d’avoir un corps très solide de sous-officiers rengagés a poussé le législateur à multiplier les avantages de toute sorte qui leur sont faits.

Il est difficile d’aller plus loin dans cette voie. 0 » veut à tout prix des sous-officiers de carrière pour encadrer le flot incessamment renouvelé de recrues qui constitue l’armée moderne. On n’a oublié qu’une seule chose, c’est de faire du métier de sous-officier une véritable carrière. Est-ce une carrière véritable que le métier qu’on est condamné à quitter dans la force de l’âge avec une pension insuffisante, et n’est-ce pas le cas de notre sous-officier rengagé ? Il y a bien la promesse d’un emploi civil a l’expiration de la série des rengagemens autorisés, mais on sait, d’une part, combien cette promesse est vague, difficile, presque