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Ce mercredi (s. d.) 1842.

Je pensais à vous écrire. Ma lettre aurait commencé ainsi : Vous ne m’aimez plus, chère Madame, et vous avez tort… Voyez combien j’avais tort moi-même, mais vous m’excuserez, par le plaisir que me fait votre bonne et affectueuse lettre. Tout est sombre, en effet, dans la vie en avançant. Je le disais hier à Lèbre en causant. Ici la face des choses se renouvelle de plus en plus et nous échappe. Comme dernière preuve de mon impuissance trop réelle et trop avérée aux Revues, vous n’avez qu’à jeter les yeux sur celle de Paris du 30 octobre ; les dernières pages de l’article de Paul de Musset vous montreront combien on a peu de chez soi ici, et combien l’hospitalité est peu respectée : on n’a que des cafés, et encore peu sûrs.

Me voici, par suite du progrès lent des choses et de ma raideur aussi, éliminé de tout comme vous, et n’étaient les chaires de bibliothèque et les volumes commencés à terminer, en mesure de recommencer une campagne à l’étranger, mais cet étranger-là était fait pour être ma patrie.

Ma santé continue d’être chétive et, sans maladie, de gêner toute mon activité de travail. Je ne puis plus faire qu’une seule chose à la fois : je suis dans des réimpressions et Port-Royal chôme. Si l’on reçoit là-bas le Journal des Savans, demandez les six articles qu’y a publiés M. Cousin sur Pascal : cela vous intéressera, Olivier aussi certainement.

En lisant dans Muller (septième et huitième volumes) les détails de cette guerre de Grandson et de Morat, j’ai encore mieux compris ce que me disait Olivier, que le canton de Vaud n’avait d’histoire que récente et que le passé propre lui manquait. Mais il a eu Davel, c’est un beau commencement, un précurseur qui, en noble originalité, ne le cède à nul autre[1]. J’ai vu avec plaisir dans le Semeur la résurrection littéraire de notre ami Frossard, jusqu’à l’esthétisation exclusivement ; mais les deux premiers articles sont bien.

Ici, on commence à revenir de la campagne : Mme de Tascher est de retour et s’informe toujours de vous. Mme Valmore qui n’a pas bougé, vous aime tendrement. Rien n’est bien nouveau,

  1. Un jour qu’on exprimait devant lui l’opinion que cet homme extraordinaire avait été bien en avance de son siècle, Sainte-Beuve dit à Urbain Olivier, qui le rapporte en ses Souvenirs : « Il était du siècle d’en haut. »