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alors qu’il n’était que le cardinal Jules ; — ni l’un ni l’autre n’était sûr de son fait. Et, précisément, deux mois avant la mort de son père, Lorenzino, gonflé de rage, avait dû assister dans un rang effacé à la pompeuse entrée dans Florence de sa cousine Catherine, promise au dauphin de France, et de son douteux cousin, cet Alexandre, le nouveau duc.

Quel avait été jusqu’alors le régime, ou l’hygiène, de Lorenzino ? De bon matin, il courait dans la campagne de Cafaggiolo, son Virgile en main. Les paysages des bords de la Sieve sont d’une gentillesse plus grave et plus discrète que ceux de la vallée de l’Arno ; ils laissent plus de loisir pour la méditation. Ou bien Lorenzino suivait la belle route, égayée d’imprévu et de bonnes rencontres, qui mène aux portiques de Bologne la grasse. Ici et là, ses fréquentations étaient des bergers, des enfans de faïenciers, ces ouvriers eux-mêmes, qui ne laissaient pas de souiller un peu son oreille, son imagination, ses mœurs. Virgile aidait à jeter sur la turpitude de ces jeux puérils le couvert poétique de la pure églogue. A dix heures, on servait un repas de viandes noires, fortement relevées d’épices et d’aillades. Sur ce repas échauffant et lourd, on faisait la sieste. Puis, tout congestionné encore et appesanti par la grosse chaleur, Lorenzino reprenait des leçons de géométrie et de belles-lettres. Vers deux heures, au jardin de la villa, il y avait goûter de pâtés, de sucreries et de fruits, suivi de doctes délassemens, comme lectures, improvisations et récits. Entre quatre et cinq, venait la cena, ou repas de fond, le plus copieux de la journée. Dans la soirée, on jouait à toutes sortes de jeux, dés, trictrac, échecs, cartes, boules et ballons. Avant le coucher se buvait un coup de vin, dit vin de sommeil, et la prière était dite en commun. Bonne manière de vivre, de nourrir l’âme et le corps, si elle avait dû former un homme d’action autant que de savoir, un Médicis tel que notre Charles IX, par exemple, point vertueux et même perverti, mais voué à de grandes tribulations, sujet à mêler l’horreur des guerres civiles et des massacres au doux échange des beaux vers avec un Ronsard. Mais pour Lorenzino, esprit ingénieux et tourmenté, que sa mauvaise fortune condamnait au désœuvrement, ce régime ne l’excitait qu’à se dévorer lui-même.

La mort de Jean des Bandes Noires, survenue en décembre 1526, rompit la chaîne de cette existence. Jean était frappé devant