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des mesures administratives et règlemens de police. Tel est dans sa simplicité le mécanisme de l’action révolutionnaire en matière de religion.

Aux approches de l’an V, les différens cultes qui s’étaient succédé jusque-là, culte de la Raison, culte de Marat, culte de l’Être suprême étaient défunts. D’autre part, on assistait à un réveil extraordinairement inquiétant du sentiment chrétien, qui, longtemps comprimé, éclatait à nouveau dans tout le pays et se manifestait avec une intensité dont les documens contemporains font foi. À ce christianisme que le pays réclamait, il fallait opposer une religion propre à le supplanter. Le Directoire crut l’avoir trouvée dans la théophilanthropie.

Rien de plus modeste, de plus doux, de plus inoffensif et de plus bénin que ce culte tel qu’il se présente à nous lors de ses débuts. Il a pour inventeur un simple libraire, Chemin fils, qui groupe autour de lui quelques pères de famille. Culte domestique, il ne s’oppose à aucune religion, ne prétend à en contrister aucune, et peut se concilier avec toutes. Ses adhérens, qui s’appellent théophilanthropes, — après avoir failli s’appeler théoandropophiles, — sont les amis de Dieu, les amis des hommes, les amis de tout le monde. Peu à peu cependant ils s’enhardissent. Ils ont trouvé des protecteurs : le sensible Dupont de Nemours, le sage Creuzé-Latouche, le vénérable Goupil de Préfeln, le modeste et vertueux Rallier. Il y faut ajouter Bernardin de Saint-Pierre, qui fut parrain théophilanthropique dans un baptême civil. Sébastien Mercier, dans son Nouveau Paris, dont la première édition est de l’an V, saluait en termes enthousiastes l’avènement de la secte nouvelle : « Grâces immortelles soient rendues à la philosophie ! La raison triomphe. La voix persuasive de la religion naturelle commence à se faire entendre dans tous les cœurs. Bientôt cette religion pacifique dont nous apportons au dedans de nous le germe en naissant sera la seule dominante. Telle est celle que professent et qu’enseignent les théophilanthropes… Et ce culte s’établit sans disputes théologiques, sans dragonnades, sans effusion de sang, car les théophilanthropes ne forcent personne de croire. Le texte de leur évangile est la voûte du firmament… » La petite troupe s’augmentait, se recrutant parmi les gens de lettres, lus prêtres mariés, et ceux que hantait l’idée fixe de fabriquer une religion laïque. On peut accepter sur ce point le témoignage de l’abbé Grégoire dont l’Histoire des sectes reste pour l’histoire de la théophilanthropie un document de premier ordre. « Nous reconnaissons et nous aimons à dire que dans (la société) des théophilanthropes, il y avait des hommes honnêtes et probes. Mais… nous assurons que la plupart, avaient été