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chaque citoyen que ses affaires empêcheraient d’assister à la cérémonie pourrait les lire chez lui et les méditer profondément. Ce serait après cette dernière lecture que l’orateur ferait un discours de morale.

Nous possédons un grand nombre des discours composés en vue de ces cérémonies, discours sur le fanatisme, sur l’égalité, sur les bonnes mœurs, etc. La phraséologie et la déclamation, alors à la mode, en font tous les frais. Comme d’ailleurs les orateurs pouvaient se trouver à court d’éloquence, on vendait à un prix raisonnable des discours tout faits et qui pouvaient s’appliquer en tout état de cause. Toutefois il n’est pas sans intérêt de parcourir celles de ces harangues qu’on mettait dans la bouche des enfans. Nous en trouvons deux dans l’Office des décades, ou discours, hymnes et prières en usage dans les temples de la Raison par les citoyens Chénier, Dusausoir, etc. C’est d’abord le discours prononcé dans le temple de la Raison par le jeune Comminge, âgé de dix ans. Le jeune Comminge, aux premiers mois de son discours, semble un peu interdit et gêné par son extrême jeunesse pour venir faire la leçon à des personnes d’âge. « A peine sorti des portes de l’enfance, quand le jour de l’adolescence lance sur moi ses premiers rayons, oserai-je faire entendre ma voix timide, dans ce temple consacré à la Raison, à l’Égalité et à la Liberté ? » Mais ce n’est qu’une précaution oratoire. Le jeune Comminge osera. Tout de suite enhardi, il s’empresse de faire honte à ses parens, grands parens et généralement à tous ceux qui l’ont précédé sur le sol de France de leur longue patience et de leur honteuse résignation. « Quoi ! braves républicains, il est possible que pendant un si long espace de temps, vous vous soyez laissé gouverner par des tyrans, hommes sans mœurs, qui, entourés d’hommes plus vils encore, disposaient à leur gré de votre existence, de vos fortunes, pour les faire servir au luxe insolent qui les environnait et à l’extension de leurs vices. Un Sardanapale enivré de débauches épuisait vos trésors et vous restiez immobiles !… un Louis XI, un Charles IX disposaient du sang des peuples, ils préparaient de sang-froid des massacres, des Saint-Barthélémy et, à la vue de tant d’horreurs, la stupeur glaçait vos sens. Ah ! citoyens, c’est ce que mes faibles moyens ne me permettent pas de concevoir… » Ah ! s’il avait été là, le jeune Comminge ! Il aurait confondu ces prêtres imposteurs ; il aurait dit leur fait à ces nobles, pour qui il tient en réserve un argument sans réplique : c’est à savoir qu’au moment où on les a déposés dans leur berceau, ils n’étaient, tout de même que lui, « que des masses informes. » Mais la destinée a fait naître ce jeune patriote quatorze cents ans trop tard.