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pèlerins. Elle veut que, par leur entremise, Aligi annonce à sa mère que bientôt il reprendra sa place au foyer, « définitivement libéré de la trompeuse ennemie, qu’il épousera sa fiancée, et jamais plus ne sera cause de colère ni de plainte pour les siens. » Mais non : c’est à quoi Aligi ne peut se résigner. Il veut aller à Rome, faire pénitence de son péché aux pieds du Saint-Père, et puis, ayant été relevé de ses fiançailles, ramener chez lui, dans sa maison, « cette étrangère qui sait pleurer sans se faire entendre, » la seule femme qu’il aime et qu’il puisse aimer. Hélas ! les mauvais présages se multiplient, et la fille de Jorio, qui jamais n’a pu croire à la possibilité de ce projet de son ami, comprend que l’heure est venue pour elle d’achever son sacrifice. « Va sur la route, Aligi, aborde le porte-croix, et prie-le de se charger, pour ta mère, de ce message ! » Et comme il hésite à sortir, murmurant qu’il « ne lui a pas encore tout dit : »


MILA. — Aligi, Aligi, mieux vaut que nous ne nous disions pas tout !… Écoute seulement ceci de moi, Aligi ! Je ne t’ai point fait de mal : je ne t’en ferai point. Mes pieds sont guéris, et je connais la route. L’heure du départ est venue pour la fille de Jorio. Et qu’il en soit ainsi !

ALIGI. — L’heure qui vient, je ne la sais pas, tu ne la sais pas. Remets de l’huile dans la lampe, devant l’image de Notre-Dame ! Il en reste encore dans l’outre. Et attends-moi, que j’aille parler à ces pèlerins ! J’ai bien pensé à ce que je vais leur dire.


(Il s’apprête à sortir. La jeune femme, vaincue d’épouvante, le rappelle.)


MILA. — Aligi, mon frère ! Donne-moi ta main !

ALIGI. — Mila, je vais revenir tout de suite ! La route n’est pas loin.

MILA. — Donne-moi ta main, que je la baise ! C’est la gorgée que j’accorderai à ma soif.

ALIGI, s’approchant, — Mila, avec un tison j’ai voulu la brûler. C’est cette main malheureuse qui t’a offensée !

MILA. — Je ne m’en souviens plus. Je suis la créature que tu as trouvée assise sur la pierre, et qui venait Dieu sait de quels chemins.

ALIGI, s’approchant encore. — Sur ta face les pleurs ne sèchent point, bien-aimée ! Une larme te reste dans les cils : elle tremble, quand tu parles ; et ne tombe pas.

MILA. — Il s’est fait un grand silence. Aligi, écoute ! Ils ne chantent plus. Avec l’herbe et avec la neige, nous sommes seuls, frère, nous sommes seuls !

ALIGI. — Mila, tu es comme, la première fois, sur la pierre, quand tu souriais avec tes yeux et que tu avais les pieds ensanglantés !

MILA. — Et toi, n’es-tu pas ce même agenouillé qui a déposé par terre, près de moi, les fleurs de Saint-Jean-Baptiste ? Et j’ai pris une de ces fleurs, et je la porte dans mon scapulaire.