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Lazaro, reprend-elle, est innocent : mais il ne le sait pas. Il a perdu le souvenir de cette heure : car il est ensorcelé. Je lui ai ôté la raison, je lui ai ôté la mémoire. Je suis fille de sorcier. Il n’y a point de sortilège que je ne connaisse, que je n’opère. Si, parmi les femmes de la parenté, se trouve ici celle qui m’a accusée, ici même, la veille de la Saint-Jean, quand je suis entrée par la porte que voici, qu’elle s’avance et répète son accusation !… Qu’elle fasse témoignage de moi. pour tous ceux à qui j’ai pris la santé, pour tous ceux à qui j’ai pris la raison, pour tous ceux à qui j’ai pris la vie ! » L’accusatrice répète son témoignage : et Mila, résolue à tout souffrir pour sauver l’homme qu’elle aime, raconte que c’est à dessein que, par haine pour le père et pour le fils, elle est venue demander asile dans la maison, la veille de la Saint-Jean. « Non, non, ce n’est pas vrai ! proclame Aligi, d’une voix que l’ivresse rend encore plus vibrante. Bon peuple, ne l’écoute pas : cette femme te trompe ! Tous et toutes se dressaient contre elle, et l’accablaient de leurs outrages : et moi, alors, j’ai vu l’ange muet debout derrière elle ! De ces yeux mortels qui ne doivent plus voir l’étoile de ce soir, je l’ai vu qui me regardait et pleurait ! Ce fut un miracle, pour montrer que Dieu était avec elle ! » — « O pauvre berger Aligi ! répond la fille de Jorio, ô jeune homme ignorant et crédule ! Cet ange n’est apparu à tes yeux que par mensonge ! C’était l’ange mauvais, le trompeur ! » Puis, pour achever de convaincre le bien-aimé, elle reprend et poursuit le récit de ses sortilèges, sans cesse interrompue par les cris de mort de la foule. Et Aligi, en effet, finit par se laisser convaincre. Affolé de colère et d’ivresse, il répand sur la malheureuse un flot d’injures effroyables, a Pour un instant seulement, dit-il, délivrez-moi les mains, afin que je puisse les lever contre cette sorcière, et appeler les morts, tous mes morts qui dorment dans ma terre, pour la maudire, pour la maudire ! » Cette fois, la victime volontaire fléchit sous le coup. « Aligi, Aligi, gémit-elle, non, pas toi ! Tu ne le peux pas ! Tu ne le dois pas ! » Et le bourreau l’emmène, toute tremblante d’angoisse, parmi les cris de mort, sans cesse plus furieux, de la foule ; et il n’y a que la petite Ornella, la plus jeune sœur d’Aligi, qui, dans l’innocence de son âme d’enfant, la plaigne, l’admire, et l’envie, comprenant l’héroïque beauté de son sacrifice. « Mila, Mila, ma sœur en Jésus, laisse-moi te baiser les pieds ! Le Paradis est pour toi !. »


Telle est, en résumé, l’intrigue de cette « tragédie pastorale : » mais je dois ajouter qu’une pareille analyse n’a guère de quoi donner