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rompu avec M. Lagrave, et qui sait ? peut-être lui avaient-ils su gré de leur avoir donné l’occasion de se montrer incorruptibles : il faut bien le croire puisque, dans la suite, ils ont combiné ensemble la déposition de ce subordonné. En tout cela, le rôle de M. Millerand restait obscur et équivoque. Heureusement pour lui, il a rencontré M. Cottignies, comme M. Mascuraud a rencontré Gendre, et M. Cottignies, procureur de la République, lui a fourni une occasion inespérée de venger son honneur sur un point où on ne l’avait pas encore attaqué. Il a eu l’insigne maladresse d’insérer dans son rapport une phrase où on lisait que M. Millerand, comme ministre ou comme avocat, avait été en rapports avec M. Chabert et autres manieurs de grandes affaires. Présentée ainsi, l’allégation était, non seulement fausse, mais calomnieuse : M. Millerand n’a pas eu de peine à le démontrer, et sa démonstration a même été à nos yeux plus probante que l’alibi de M. Mascuraud. Mais quel tapage savant n’a-t-il pas fait autour de-cette affaire ! Quelle véhémence dans la manière dont il a pris à partie, non pas M. le procureur de la République, personnage négligeable qui n’a été à ses yeux que l’instrument d’une vengeance venue de plus haut, mais M. le ministre de la Justice et le gouvernement tout entier ! — On a voulu me déshonorer, s’écriait-il : nous avons un gouvernement qui, non content d’attaquer ses adversaires, cherche à les flétrir ! — M. Millerand n’était pas disposé à se laisser flétrir : il aimait mieux prendre l’offensive et flétrir lui-même les autres à tour de bras. Tactique habile, dont il s’est fort bien trouvé. On n’a plus vu en lui qu’un homme calomnié sur un point, et qui dès lors n’avait plus à se disculper sur les autres. Désormais, qui s’en occupait ? Ici encore on a assisté au phénomène qui fait porter toute l’attaque et toute la défense sur un incident unique, et supprime le reste. C’est le grand art des dérivatifs et des diversions. M. Colin, dans son rapport, a paru craindre si fort d’être confondu avec M. le procureur de la République, qu’il a délivré un certificat de vertu à M. Millerand comme à M. Mascuraud. Comment le soupçon a-t-il pu les effleurer ? Peut-être y avait-il eu quelques raisons à cela, mais on ne s’en souvenait plus.

Ainsi la Commission met hors de cause M. Edgar Combes, M. Millerand. M. Lagrave, et naturellement M. Mascuraud ; mais elle prend à partie M. le président du Conseil. — Ni vous, ni votre fils, lui dit-elle, n’avez été soumis à une tentative de corruption. Vous n’avez pas repoussé deux millions qu’on ne vous a pas offerts. Le mélodrame que vous avez porté à la tribune, le 10 juin dernier, ne s’est passé que