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celle de La Bruyère, en son chapitre de La Chaire, et celle de Fénelon, dans ses Dialogues sur l’éloquence, que j’aimerais tant, pour lui, qui ne fussent pas de lui. A la vérité, ce sont surtout les « disciples de Bourdaloue » que La Bruyère semble avoir en vue dans ce chapitre ; et, quand il nomme Bourdaloue, c’est pour le rapprocher de Bossuet, et les comparer, Bossuet à Démosthène, et Bourdaloue à Cicéron. La comparaison ne me paraît pas très heureuse ; et, si je ne suis pas assez grand Grec pour décider en quelle mesure Bossuet ressemble à Démosthène, je ne trouve rien, absolument rien de cicéronien dans Bourdaloue. Mais, sans insister sur ce point, je crains bien qu’après avoir salué le grand orateur au passage, ce ne soit pourtant lui que La Bruyère critique en ses disciples. N’est-ce pas toujours plus ou moins critiquer un maître, que de lui reprocher d’avoir fait de « mauvais copistes ? » ou, si l’on le veut, que de le « constater » sans le lui reprocher ? Les qualités qui se tournent en défauts chez les imitateurs ont toujours quelque chance de n’être déjà chez le maître que des qualités… mélangées.

Pour Fénelon, on n’a guère douté, jusqu’au Père Griselle, qu’il ne s’en fût pris à Bourdaloue dans ses Dialogues sur l’éloquence, et la raison qu’on en donne est ordinairement celle-ci, qu’il y a peu de rapports entre le génie didactique, méthodique et sévère, de Bourdaloue, et le génie plutôt chimérique, inégal et capricieux, de l’archevêque de Cambrai. Mais il est permis aujourd’hui d’ajouter que Fénelon avait des rancunes tenaces, et, tout ami qu’il fût de la Compagnie de Jésus en général, il n’avait pardonné sans doute à Bourdaloue ni son intervention auprès de Mme de Maintenon dans la querelle du quiétisme, ni la manière dont le grand orateur avait parlé, dans son sermon Sur la Prière, — le second des éditions, — de l’abus et du danger de « l’oraison extraordinaire[1]. » J’en extrais quelques lignes qui sont à la fois un commentaire du mot qu’on prête à Louis XIV sur Fénelon, et un témoignage éloquent de ce que Bourdaloue a voulu qu’il y eût toujours d’éminemment raisonnable dans sa religion.

J’appelle oraison chimérique, celle dont l’Évangile ne nous parle point, et que Jésus-Christ ni saint Paul ne nous ont enseignée… J’appelle

  1. Je sais bien que les Dialogues passent aujourd’hui pour être un ouvrage de la jeunesse de Fénelon ; mais le fait est qu’on n’en sait rien ; et ce qui est certain, c’est qu’ils n’ont paru qu’en 1718.