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n’aperçoit pas moins finement ni moins profondément les rapports qui lient des idées qu’on eût crues contradictoires, et c’est à quoi ses « transitions » lui servent. Elles opèrent la « synthèse » de ce que la subtilité de son « analyse » avait en quelque façon disjoint. Elles font concourir ses digressions elles-mêmes à l’objet de sa démonstration. Elles assurent, pour ainsi parler, à travers tout un long discours, la circulation intérieure de la même pensée. Et, sans doute, c’est ainsi qu’elles diversifient, tout en la soutenant, la continuité de l’éloquence du prédicateur, mais, de plus, elles en accélèrent le mouvement, et elles achèvent de donner au sermon ce caractère oratoire qui le distingue, par exemple, des dissertations de Nicole dans ses Essais de morale.


Ajoutons maintenant, et en dernier lieu, la finesse de sa psychologie. Invoquerons-nous, à ce propos, l’expérience du confessionnal ? Rappellerons-nous les noms de tant de morts fameux dont ce grand prédicateur a reçu le dernier soupir et les derniers aveux : la duchesse de Fontanges, Colbert, Le Tellier, la Grande Mademoiselle, le chevalier de Rohan, le maréchal de Luxembourg ? Au moins savait-on, dans l’auditoire, quand celui-là prêchait sur l’Ambition, ou sur le Pardon des injures, qu’il connaissait ce dont il parlait, et qu’il ne jugeait point les « grands de ce monde » uniquement en spectateur ou en témoin attristé de leurs vices, comme un faiseur de satires ou comme un moraliste envieux et chagrin, mais en confident de leurs dernières pensées, les plus intimes, les plus secrètes, celles que, jusqu’à leur dernière heure, ils s’étaient peut-être cachées à eux-mêmes ! Il ne connaissait pas moins bien ceux que nous appelons aujourd’hui les « humbles, » et je n’en veux pour preuve que ce curieux passage d’un sermon sur l’Aveuglement spirituel. Il y revient sur cette question, qui lui tenait évidemment à cœur, du « soin des domestiques, » et il s’exprime ainsi :


Vous me demanderez à qui vous les adresserez [vos domestiques] pour leur enseigner les élémens du salut ? Ne vous offensez pas de ce que je vais vous dire. À qui, dites-vous, les adresser ? Mais moi, je vous dis : Pourquoi sera-ce à d’autres qu’à vous-mêmes, puisque Dieu vous les a confiés ? Croiriez-vous donc vous déshonorer en faisant auprès d’eux l’office même des apôtres ? Mais encore, à qui aurez-vous recours, si vous n’en voulez pas prendre le soin ?… Oserai-je le dire ? À moi-même ! Oui, à moi, qui me ferai