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Metternich craignait que le caractère de l’empereur Napoléon ne fût un obstacle à la paix, qu’alors la guerre ne devînt désastreuse : l’Allemagne mettrait par elle-même et d’un mouvement spontané 300 000 hommes de plus sur les frontières de la France. Il ajouta : « que l’Angleterre était bien plus modérée qu’on ne pensait, » mais il eut soin d’insinuer l’indépendance de la Hollande. Il se garda bien de confier à Saint-Aignan le secret de la paix en soixante heures : les propositions communiquées alors à Caulaincourt s’éloignaient trop de celles que Metternich entendait poser désormais. Il suffisait de lancer la phrase qui ferait son chemin. Parler d’un tel secret, c’était exciter chacun à le deviner, et chacun le devinerait selon ses désirs, le propagerait à sa guise, et le mystère même y donnerait un vernis d’authenticité. Bref, par la légende, il préparait Saint-Aignan au stratagème. Toute cette conversation, destinée aux confidences et indiscrétions, n’avait pas d’autre objet que de tromper la galerie, de nourrir les illusions des abusés et de fournir des argumens aux habiles, comme Talleyrand.

Le 27 au soir, jugeant Saint-Aignan en. bon point, Metternich écrivit à Schwarzenberg : « J’ai arrangé cette affaire avec l’empereur Alexandre, et nous allons expédier Saint-Aignan à l’empereur Napoléon avec une réponse aux ouvertures qu’il a faites à Merveldt. »

C’était le prétexte, très suffisant, à reprendre la conversation. Toutefois, il ajourna l’expédition, quelques points restant à fixer. Ils le furent le 29 octobre à Meiningen, par où passait l’auguste cortège. Frédéric-Guillaume était absent. Hardenberg, lorsqu’il connut le projet, le désapprouva. Quant à lord Aberdeen, Metternich feignit, avec lui, de croire que Napoléon accepterait les conditions. Aberdeen, inclinant, de sa personne, aux ménagemens, en serait séduit, mais il ne manquerait pas d’en informer son gouvernement, et rien ne serait convenu, même sur les bases préliminaires, tant que l’on n’aurait pas la réponse des ministres anglais. Jusque-là, les propositions de Metternich, ses ouvertures éventuelles aux Français, n’auraient qu’un caractère officieux, de sorte que les Anglais pourraient, le cas échéant, en « rejeter les pièces… comme étant officiellement inconnues à eux. » Ce qu’ils firent, ainsi qu’on le verra par la fin de cette étude.

Metternich fut aussi chargé de rédiger une proclamation qui insinuerait l’équivoque fondamentale, l’équivoque sur les