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rien proposer au nom des alliés sans leur aveu formel. Ce n’est point ainsi que l’on présente des « ouvertures » de paix, ni que l’on pose des bases à accepter par oui ou par non.

Saint-Aignan lui-même, transmettant son rapport à Maret, ajoute : « J’ai dit à M. de Metternich que la note que je. prenais était pour moi seul et que je ne la mettrais pas sous les yeux de l’Empereur… Cet écrit n’a rien d’officiel. Les expressions en sont vagues. Je n’étais pas fondé à demander qu’on s’expliquât plus clairement. » Metternich avait exprimé le désir d’en prendre copie. Saint-Aignan n’avait pas cru devoir refuser. « C’eût été lui donner (à cet écrit) plus d’importance qu’il ne doit en avoir[1]. »

La note, en effet, demeurait singulièrement ambiguë sur le point essentiel, celui des limites. En « souscrivant les propres paroles qu’il tenait » de Metternich, Saint-Aignan écrit ces mots : « ses limites naturelles, qui sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, » il les entend, et tous les Français les entendront comme lui, tout simplement des limites de Lunéville ; on sait déjà, et l’on va voir quels sens différens y donnaient les alliés. Pour Metternich et pour eux, ces mots limites naturelles et limite du Rhin pouvaient donner lieu aux interprétations les plus variables, la France ayant eu, réellement, le Rhin pour limite naturelle depuis 1648, le long de l’Alsace, ce qui permettait de confondre en une même expression l’ancienne frontière royale et celle de la République. Il y avait intérêt à laisser l’illusion se propager en France, et l’habileté, en cette nouvelle série de « nuances, » consistait, comme au temps de Dresde, à ne rien définir. Napoléon comprendrait et dirait non ; l’opinion se méprendrait, et condamnerait l’Empereur. « Je ne crois pas, écrivait Metternich à son suppléant, Hudelist, à Vienne, je ne crois pas que Napoléon donne à l’affaire une suite véritable. Mais nous devions, à tous égards, faire un pas pour tirer au clair et nous procurer en même temps des armes au sein de la nation. » Hardenberg, qui était resté chez lui, écrivit dans son Journal, après qu’on lui eut raconté l’entretien : « Proposition de paix sans ma participation, par Saint-Aignan, Rhin, Alpes, Pyrénées, absurdité, — Tolles Zeug ! » Sir Charles Stewart, dès qu’il fut informé, se montra inquiet ; il ne s’apaisa que quand Hardenberg l’eut assuré que « la pièce rédigée par M. de Saint-Aignan est et reste une

  1. Saint-Aignan à Maret. 15 novembre 1813.