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Ce dimanche 29 février 1844.

Merci, chère Madame, de vos aimables et bonnes paroles. J’en ai grandement besoin. Ce n’est pas cette simple brigue académique qui me tient et m’inquiète : c’est ma situation tout entière, de plus en plus insoutenable et ruineuse, moralement et physiquement. Oh ! qui me donnera un coin de terre où je puisse vivre ou plutôt végéter au soleil en paix et me reconnaître peu à peu ! Mon esprit lui-même est en train de baisser à travers tout cela, ou du moins mon cerveau y craquera un de ces matins. Tout ceci est le résultat d’une situation fausse prolongée, attaché que je suis au centre de Paris, en butte à toutes les obsessions du monde ou autres, et envahi à la longue sans plus de défense.

Cette affaire académique serait trop longue et fastidieuse à vous écrire dans tous ses détails. Qu’il vous suffise de savoir qu’il ne m’eût fallu qu’une voix de plus pour réussir et que Victor Hugo m’a constamment et hautement refusé la sienne, en. annonçant qu’il votait moins pour Vigny que contre moi. On me dit que je réussirai dans trois semaines ; je n’en crois rien ; et ne fais plus un mouvement pour cela. Si je manque, j’aurai à prendre une détermination très nécessaire et assez prompte de changement de vie, et de fuite de Paris, s’il est possible, pour me remettre un peu au travail. Si je réussis, cette détermination, non moins nécessaire, se trouvera ajournée.

— Voilà, chers amis, mes ennuis. A qui les confierai-je, sinon à vous ? — Je crois la résolution de Buloz très subsistante et puis vous rassurer tout à fait là-dessus. Vous le serez, au premier jour, par la publication même, sinon au 1er, du moins au 15 mars, j’espère. Adieu, chers amis, et chère Madame, vous pouvez juger si ma pensée se reporte avec une douloureuse tristesse en arrière à ces années, encore voisines pourtant, et où rien n’était désespéré encore.

S. B.


Cette lettre est écrite ; deux jours seront passés ; je suis moins triste, moins désespéré, et je ne sais si je dois vous l’envoyer. J’ai peur de vous affliger ; je voudrais que vous n’y vissiez plus qu’une effusion, un élan vers vous, une marque de confiance. À ce titre, je ne veux pas la supprimer. Qu’elle aille