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1864


26 février 1864.

Mon cher Olivier, Je vous remercie de la note excellente et précise. — J’espère vous voir lundi. — Je gémis sous le faix. — Fatigué très réellement.

Pourriez-vous me dire, en attendant, si Winkelried à Sempach a bien fait ceci : s’avancer contre le bataillon hérissé de piques qu’on ne pouvait entamer, étendre les bras, rassembler le plus de piques ennemies qu’il pût contre sa poitrine, et mourant transpercé, ménager ainsi dans la phalange allemande une trouée par où les Suisses pénétrèrent. J’en ai besoin pour une image. — Qu’était-il dans l’armée suisse ? Etait-ce un chef ? Amitiés autour de vous et tendresses.


1869


Ce 10 juillet 1869.

Cher ami,

Je suis bien touché de votre bonjour daté de ces lieux très chers et que je ne reverrai pas. Je me sens bien altéré de repos et plus souffrant depuis quelques jours. Il faudra essayer quelque chose. Mais ce que j’ai dit de Monnard[1], c’est vous-même qui

  1. Sainte-Beuve, au cours de ses articles sur Jomini, publiés dans le Temps et reproduits par le Journal de Genève et la Revue militaire suisse, avait parlé de M. Monnard en termes qui avaient paru excessifs au colonel Lecomte : « Vous dites dans un passage, écrivait cet officier au critique des Lundis, — il (M. Monnard) était resté le même à travers toutes les vicissitudes, les ingratitudes des partis qui en dernier lieu l’avaient frappé d’ostracisme, inflexible et immuable sous ses cheveux blancs, etc. » Je vous engagerais à supprimer les mots : — qui en dernier lieu l’avaient frappé d’ostracisme. — Peut-être aussi le mot ingratitude pourrait-il être avantageusement remplacé par quelque équivalent adouci, caprices, fluctuations, par exemple, ou simplement retranché. Avec ces modifications… la part d’éloges à M. Monnard resterait encore exagérée à mon avis, mais ce n’est plus qu’une affaire d’appréciations très discutable. »
    Sainte-Beuve, quelque peu piqué, avait répondu à M. Adert, directeur du Journal de Genève, que le colonel Lecomte avait également saisi de sa réclamation.
    « Vous pensez bien que je n’ai qu’à me féliciter d’une correspondance si courtoise et si honorable pour moi. Je n’ai pas attendu la fin des articles pour remercier le colonel. Il a tenu à faire ses réserves sur M. Monnard. Je me garderai bien l’insister et de venir le contredire. Dans ma réimpression, le mot d’ostracisme disparaîtra, et je parlerai seulement de l’ingratitude des partis qui l’avait réduit à l’expatriation, à l’exil. Je ne suis que rigoureusement exact en parlant ainsi. Au moment où éclata dans le canton (de Vaud) la révolution de 1845, M. Monnard avait quitté la chaire de la littérature française à l’Académie de Lausanne, et y avait été remplacé par M. Vinet ; il occupait lui-même la place de pasteur à Montreux. Lors de la proclamation de M. Druey pour l’acceptation de la Constitution, les pasteurs en masse se démirent ; M. Monnard fut de ceux qui refusèrent la lecture en chaire et, dans l’assemblée des pasteurs à l’hôtel de ville de Lausanne, il se prononça avec énergie pour la résistance. Remplacé à Montreux comme pasteur officiel, il y restait le ministre de l’Église séparée. Cela déplut aux radicaux de Montreux, qui tracassèrent les réunions de cette église libre, et, un jour, le culte fut interrompu par un tumulte populaire. Le pasteur et son troupeau, et Mme Monnard présente, se virent inondés par le jet d’une pompe à feu. Le séjour n’était plus tenable pour M. Monnard, qui accepta un appel de l’Université de Bonn. Voilà les faits dans leur exactitude. Je ne vous les raconte que pour que vous les sachiez au besoin, car je ne sais si à cette époque vous étiez déjà à Genève. Mais, encore une fois, gardons tout cela pour nous. Le colonel Lecomte est un homme de trop de mérite et qui en tout a agi avec trop de bon et cordial procédé pour qu’on le chicane sur un détail. » (Lettres inédites des 12 août et 4 septembre 1869, communiquées par la famille Adert.)