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lorsque le Roi sera rentré dans la possession de toutes les provinces qu’il a perdues en Allemagne, ou aura été indemnisé d’une autre manière, par la Saxe, qui me paraît convenable pour cela. »

Ce n’étaient point de minces affaires à conduire sous un manteau de comédie. En publiant l’acte d’York, on déchaînait la révolution en Prusse, on s’exposait aux représailles d’Augereau ; en l’approuvant, on jetait le gant à Napoléon avant d’avoir pu s’armer ; en le désapprouvant, on soulevait dans toute la Prusse un cri de réprobation. Il fallait faire face de tous les côtés et ruser avec tout le monde, persuader les Français, Augereau, Saint-Marsan, l’envoyé ordinaire et très illusionné, Narbonne, envoyé extraordinaire et plus perspicace, que l’on demeurait fidèle à l’alliance ; le déclarer au peuple prussien par tous les discours officiels, tous les gestes ostensibles, c’est-à-dire afficher la défection apparente à la cause nationale, afin de voiler la défection réelle à l’ennemi ; ruser avec York, de façon qu’il ne pût ni se dire, ni se croire même approuvé ; tâcher enfin de démêler le jeu et les arrière-pensées d’Alexandre. L’ouverture d’alliance était ferme, la promesse de garantie sans ambage ; mais il n’en allait pas de même de la reconstruction de la Prusse. Le Roi et Hardenberg l’entendaient, au sens propre, de la restitution de tous les territoires possédés en 1806, entre autres la Westphalie et le duché de Varsovie. Alexandre laissait entrevoir des arrangemens d’échange. On connaissait à Berlin ses vues sur le duché de Varsovie ; il offrait la Saxe et, certes, l’offre paraissait séduisante, mais Alexandre offrait ce qu’il ne possédait point ; il faudrait conquérir le Saxe, alors qu’il occupait déjà le duché de Varsovie ; il s’y nantirait lui-même aux dépens de la Prusse, avant d’indemniser son allié.

Cependant, pour amuser le tapis, ils prodiguent les déclarations à Napoléon et à ses agens. Ils s’entretiennent d’un projet de mariage, soufflé par Narbonne, entre le prince royal de Prusse et une princesse Bonaparte. Saint-Marsan, plus crédule, peut-être, par politique que par caractère, et qui agit plus à Berlin en affidé de Talleyrand qu’en informateur de Napoléon, rapporte à Paris ces paroles de Frédéric-Guillaume, sur la foi de confidens autorisés : « Il est vrai que la plupart de mes sujets sont indisposés contre les Français, et c’est assez naturel ; mais, à moins qu’ils n’y soient poussés par des demandes de sacrifices insoutenables, ils ne remueront pas… Je crois avoir des données sûres que