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nomades ; là, sous des tentes de poil, vivent les descendans de ces terribles cavaliers qui firent trembler le monde sous Gengis-Khan et Timour ; mais, au carrefour des routes de caravanes, une fumée légère monte du toit des lamaseries : au milieu des tribus vagabondes, cette fumée est sédentaire, elle marque la place immuable où les baguettes d’encens brûlent devant l’autel du Bouddha ; celui-là est sûr de dominer tout le pays qui a pour lui les lamas, gardiens de l’antique foyer national. C’est la méthode que les Russes ont suivie et qui leur a réussi ; leur influence est aujourd’hui prédominante dans cette Mongolie par où ils espèrent un jour faire passer la ligne directe qui reliera Pékin à l’Europe par Kalgan et Kiakhta ; pendant les troubles de 1900, une troupe de cosaques s’avança jusqu’à Ourga, où réside un consul russe, et, dit-on, un détachement fît son apparition à la passe de Si-Ouan-Tse, la porte de la Chine. Les Russes ont su tirer, de leur politique religieuse, d’autres avantages encore : dans toute la Chine du Nord, à Pékin et à la cour de l’Empereur, l’influence bouddhiste, pour être difficile à saisir sur le vif, n’en est pas moins considérable. Le Chinois a peu de besoins religieux, mais nul n’a plus que lui le respect et la superstition des rites ; le grand lama est le chef des rites et, comme tel, son autorité est nécessaire à la vie chinoise ; au palais impérial, le sanctuaire le plus vénéré est celui de Bouddha. Pendant l’exode de la Cour à Si-Ngan-Fou, les Russes, grâce à leurs bonnes relations avec le Giton-lama d’Ourga, purent jouer, auprès de l’Impératrice, le rôle de protecteurs de la religion et exercer, par ce moyen, sur le gouvernement fugitif, une pression favorable à leurs intérêts. Aux yeux des bouddhistes de l’empire, le Tsar, grâce à ses rapports avec le Dalaï-lama, n’apparaît plus comme un étranger, encore moins comme un ennemi, et c’est là, pour la pénétration russe, un avantage qui, pour ne pas se mesurer avec des chiffres, n’en a pas moins sa valeur.

La révolte des Boxeurs fut, pour les Russes, l’occasion d’autres succès encore : dès le début des troubles, une bande de brigands chinois ayant attaqué la ville russe de Blagovestchensk, sur l’Amour, les troupes du Tsar en profitèrent pour passer immédiatement le fleuve et s’avancer en Mandchourie ; bientôt elles occupaient Moukden, et s’avançaient sur Pékin, détruisant sur leur passage les tribus Khounkouses, et garnissant de troupes les abords du chemin de fer. Pékin délivré, les contingens