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favorisée dans le tissage est celle des ouvriers conduisant un seul métier fil dans les laizes étroites jusqu’à 1m, 50 de large. Dans d’autres centres de tissage, on a couplé les petits métiers de fil, partout où la nature du travail le permettait, de manière à placer deux métiers sous la conduite du même ouvrier. A Armentières, le tarif de 1889 l’interdit[1]. » Aussi, dans le ressort du Syndicat des fabricans de toiles, la moyenne du salaire, pour 2 471 ouvriers, n’est-elle, par tête et par semaine, que de 18 francs. Pour les privilégiés, qui conduisent soit 2 métiers fil avec un apprenti, soit deux métiers coton sans apprenti, soit un métier de grande largeur (ils sont, les trois ordres réunis, 2 080), le salaire moyen par ouvrier et par semaine ressort à 25 francs. De sorte qu’au total, d’après le Syndicat d’Armentières et pour les 4 551 tisseurs dont il a analysé les salaires, 2 471 ouvriers, soit 55 pour 100, gagneraient chacun 18 francs, et 2 080 ouvriers, chacun 25 francs par semaine[2].

Après les tisseurs viennent les pareurs : chargés spécialement de l’encollage des chaînes en fil de lin : ce sont les « princes » du tissage : ils peuvent gagner, les moins adroits, de 30 à 35 francs, les fins ouvriers, plus de 50 ; la plupart, de 40 à 50 francs. « L’habileté de l’ouvrier, la souplesse du corps, le tour de main jouent dans ce métier un rôle important qui explique les variations du salaire. » De 30 à 50 francs, et plus, c’est le prix d’une semaine de 60 heures de travail ; mais, ordinairement, la semaine des pareurs n’atteint pas 60 heures ; elle ne dépasse pas 55. Or, la moyenne hebdomadaire, pour eux, est de 45 fr. 50 ; ils gagnent donc plus de 0 fr. 70 de l’heure : environ 7 francs par jour. Une

  1. Rapport présenté à la Commission d’enquête parlementaire, par M. Louis Colombier, p. 3. — Il n’est pas inutile de faire remarquer ici que les observations du Syndicat des fabricans de toiles s’appliquent à la filature de coton, en même temps qu’à la filature de lin.
  2. M. Louis Colombier ajoute : « Nous savons que ces chiffres s’écartent sensiblement de ceux fournis par les ouvriers. Ils sont en formelle contradiction avec tout ce qui a été publié et écrit depuis quelques mois sur Armentières. Malgré cela, nous en affirmons l’exactitude. La Commission d’enquête ne pouvait pas manquer d’être frappée de ces divergences. Elle a demandé à voir les livres de paye dans un tissage qu’elle a visité le lundi 18 janvier ; au grand étonnement des commissaires enquêteurs, la vérification de ces livres a prouvé l’exactitude de nos chiffres. » — De pareilles « divergences » ont pu, en effet, étonner la Commission d’enquête ; elles n’eussent étonné pas un de ceux qui savent, par expérience, combien il est difficile d’arriver à des précisions en une matière où il semble qu’il soit aussi facile d’être précis, — et presque aussi impossible de ne pas l’être, — qu’en matière de salaires : cependant on y arrive rarement, et un peu malgré tout le monde, les uns étant portés à dire plus, et les autres à dire moins.