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d’invoquer la légende d’un âge d’or qu’ils n’ont jamais vécu, mais dont le souvenir imaginaire prête un corps à tous les fantômes de l’espérance.

Suivent les articles, non moins importans pour la réalité des affaires, que le préambule pour l’illusion des peuples. Alliance offensive et défensive, qui a pour premier objet ostensible : « de reconstruire la Prusse » et d’enlever à la France « une influence quelconque » sur le Nord de l’Allemagne ; — coopération immédiate des deux armées ; ni paix ni trêve que d’un commun accord ; invitation à l’Autriche d’entrer dans l’alliance le plus tôt possible. Les articles secrets, relatifs à la reconstruction de la Prusse, reproduisent textuellement le contre-projet russe, cité ci-dessus.

Alexandre atteint son but. Sans se lier les mains, il s’assure le concours non seulement de l’armée royale de la Prusse, mais de l’insurrection nationale prussienne et, sous cette impulsion, de toute l’Allemagne. Il devient le chef avéré de la grande coalition des peuples, le meneur de la croisade d’indépendance. Il a placé le roi de Prusse à sa gauche ; il va s’occuper de mettre l’empereur d’Autriche à sa droite, pour l’entrée solennelle qu’il compte faire dans les capitales affranchies.


VII

Lebzeltern, l’envoyé autrichien, arriva au quartier général russe le 5 mars. Ses instructions lui prescrivaient, sous le couvert de l’intervention, de tâter les Russes sur l’alliance et de découvrir ce qu’ils offriraient. Alexandre ne le laissa pas s’évertuer en insinuations. Il alla droit au fait et lui dit[1] : « Est-il possible que, toujours renfermés dans le vague, vous vouliez ou être devinés ou qu’on se jette dans vos bras sans que vous daigniez nous dire une seule de vos pensées ? Vous voulez le bien de la cause européenne ! Soit ; moi, avant tout, je désire que l’Autriche regagne son ancienne attitude et toutes ses possessions ; que la Prusse sorte de cette lutte indépendante et avec un degré de consistance ; que l’Allemagne soit affranchie du joug français et libre, ou plutôt soumise comme auparavant, à la domination de votre souverain… — Voulez-vous, Sire, dit Lebzeltern, que je transmette cette base comme vôtre ? — Dites-moi,

  1. Rapport de Lebzeltern, 8 mars 1813, en français.