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principe ; mais il est plus vrai encore qu’il est arrivé à ce principe par voie de conséquence, Tayaut rencontré sur sa route comme un problème posé, comme un fait qu’il fallait expliquer, alors que la première curiosité de son esprit s’était portée ailleurs, à l’autre bout de la réalité, et qu’il avait dû, avant d’atteindre la physique, traverser toute la nature vivante. C’est de quoi l’on ne s’avise guère, si l’on s’en remet à l’exposé synthétique des Premiers Principes, où Spencer a justement enchaîné ses découvertes dans un ordre inverse à celui selon lequel il les avait faites.

Lorsque Spencer, alors journaliste, héritier du radicalisme politique et du libéralisme religieux, commença décrire pour gagner sa vie, il se préoccupa d’abord, et uniquement, de la discipline de l’Etat, cherchant à déterminer dans ses articles la Sphère propre du gouvernement.

Son premier grand ouvrage, — la Statique sociale, — reprend cette question, qui l’intéresse entre toutes, du fondement théorique du gouvernement. Et cet ouvrage contient tous les autres ; il en est la source et la clarté, ébauche heureuse de toute la doctrine. Déjà il semble à Spencer que « les évolutions organiques sociales obéissent à la même loi, » et si avec l’Age, la réflexion, et les déboires de l’expérience, il doit en venir à modifier le détail de sa pensée et surtout à atténuer sa tendance radicale, il ne fera que fortifier cette « croyance dominante aux évolutions de l’homme et de la société, » qui fut sa première inspiration. Dans les Essais qui suivent, il étudie les Manières et la Mode (1854), puis le Progrès, ses causes (1857).

A l’ordinaire, on rapproche le progrès du bonheur, l’un servant à évaluer l’autre, le fait seul que le bonheur s’accroît constituant le progrès. Pour Spencer, — comme pour les sociologues d’aujourd’hui, — le progrès n’a point de rapport avec le bonheur, qui n’en est ni la cause ni la fin ; on n’entendra bien le progrès qu’à la condition de rechercher seulement la nature des changemens qui le constituent, « abstraction faite de nos intérêts. » Mais, si le progrès n’est plus qu’une espèce déterminée) de changement, il cesse d’être un phénomène simplement social ; il peut être rapproché d’une évolution organique, et, avec la nouvelle physiologie, on le définira comme « un changement de l’homogène à l’hétérogène. » Un État qui multiplie ses institutions, un organisme qui diversifie ses fonctions, progressent