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considéré comme la somme des choses existantes, le « cosmos, » qui est un être et une synthèse. La loi d’évolution s’applique donc aussi bien à lui qu’à son détail ; il y a une seule évolution, emportant l’univers, ensemble et parties, dans un même mouvement de différenciation.

Or, relativement à cette marche des choses que suppose Spencer, est-il possible de constater historiquement une hétérogénéité croissante dans ce coin de terre que nous habitons et entrevoyons ? Un savant[1] l’a remarqué récemment ; comment démontrer que le monde actuel soit plus varié que le monde tertiaire ? L’homme même, dont l’action pour approprier la nature à ses besoins uniformes devient souveraine, ne contribue-t-il pas à y introduire de plus en plus de monotonie et de banalité ? Cette nature elle-même, ne tend-elle pas à revenir en arrière, à se répéter indéfiniment ? La mer ronge les rivages que les fleuves reconstituent, et la compensation, l’équilibre, le balancement des effets et des causes, le mouvement cyclique qui avait frappé les anciens expriment également ce que nous pouvons entrevoir de la marche des choses. Il faudrait, par des méthodes plus précises que celles de Spencer, être en mesure de suivre cette évolution historique du monde avant de se prononcer sur son sens et sa direction. Faute de quoi, et malgré notre déduction rigoureuse, nous tomberons seulement dans un automorphisme ingénu, puisque, en vérité, c’est toujours de ce que l’humanité évolue, que nous concluons à l’universelle évolution.

Il y a donc un étrange prestige, presque esthétique, quasi sentimental, une grande force d’illusion dans la théorie de Spencer : elle fait impression, par son ampleur même, sur l’imagination. Pour nous y reconnaître, dégageons-en par l’analyse les fragiles élémens qui, réduits à eux-mêmes, imposeront moins.

Un animal vivant, parvenu au terme de sa vie qui est la mort, ne revient pas en arrière, cela ne souffre aucun doute, et ne recommence pas à vivre en sens inverse toute son existence : nous dirons que la suite des phénomènes qui ont constitué le cours de son âge est une suite ou une série irréversible. Est-ce donc que la nature ne se répète jamais, et faut-il en conclure qu’il y ait impossibilité à remonter la chaîne des causes ? Il le paraît

  1. Frédéric Houssay.