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n’est pas moins éloigné de tout « gouvernement policier ; » il appelle donc « torysme nouveau » cette politique tracassière de l’intervention gouvernementale, et il en considère avec le même anxieux dédain toutes les tentatives, toutes les formes, telles que la réglementation du travail ou l’obligation gratuite de l’instruction ; il frémit, lorsqu’on « propose de charger de la production des armées agricoles et industrielles, sous le contrôle de l’Etat ! » Comme si toute réglementation n’avait pas pour effet d’alourdir l’impôt en accroissant le fonctionnarisme ; comme si « l’armée, » ce n’était pas la hiérarchie, la discipline, l’obéissance ! Et il voit avec un effroi croissant que dans la politique moderne, toutes les mesures prises ou proposées, depuis le régime des maisons ouvrières jusqu’au rachat des chemins de fer, tendent à augmenter l’action collective et à diminuer l’action individuelle, ce qui marque proprement un retour au despotisme. Et si les « péchés des législateurs » préparent ainsi « l’esclavage futur, M c’est que tout cet âge, au fond, est victime d’un dernier fétichisme, le fétichisme de l’Etat, et d’une superstition suprême, « la superstition politique. » On a inventé le « droit divin des Parlemens. »

Spencer est donc bien un adversaire déclaré du Socialisme : il n’a cessé de le combattre, d’en dénoncer le danger et d’en proclamer les progrès. Mais il l’a repoussé pour des raisons historiques et particulières, beaucoup plus que pour des motifs logiques et généraux. Comme son maître Stuart Mill, il appartient en effet à ce radicalisme utilitariste qui n’avait cessé de lutter, en vue d’affranchir l’individu de la servitude politique, et d’arracher la liberté du citoyen aux tyrannies de l’histoire : faudrait-il donc, par une législation du travail, rétablir, sous une forme plus dure, cette tutelle de l’État ? Le libéralisme anglais n’avait jamais eu qu’une notion confuse d’une liberté qui lui coûtait si cher, et c’est pour l’avoir transposée telle quelle du régime politique au régime économique que ce parti de combat a paru soudainement rétrograder en face des faits nouveaux. A la vérité, son évolutionnisme offrait à Spencer de quoi briser cette tradition, et il est bien clair qu’en restant fidèle à son parti, Spencer s’écartait de sa propre doctrine.

Huxley, le premier, a signalé cette contradiction sur laquelle repose l’évolutionnisme politique de Spencer. Spencer, en effet, a d’abord conçu la société par analogie avec l’organisme ;