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croisades révolutionnaires et elle tenait des droits des princes tout juste le même compte que la Convention des droits des peuples. « Il faudra, avait dit Cambon en proposant le décret fameux du 15 décembre 1792, il faudra dire aux peuples qui voudraient conserver leurs castes privilégiées : Vous êtes nos ennemis, et alors les traiter comme tels, puisqu’ils ne voudront ni liberté, ni égalité ! » Il n’était alors permis aux peuples d’être libres qu’à la jacobine ; il ne sera permis aux États d’être indépendans qu’à la russe et à la prussienne. D’ailleurs, les plus beaux prétextes de justice et de droit public.

Le 20 mars, le traité de Kalisch fut publié dans sa partie ostensible, et le 29 parut, inspiré par Stein, l’appel à la nation allemande, que, pour l’ironie des choses, signa Koutousof, venu en Allemagne en passant sur le ventre de la Pologne. Il exhortait, au nom du tsar et du roi de Prusse, copartageans de trois partages, les princes et peuples de l’Allemagne, à « recouvrer ces biens héréditaires qui leur ont été enlevés mais qui sont imprescriptibles, leur liberté et leur indépendance. Honneur et patrie ! » Il les invitait à prendre les armes, il leur promettait le règne, la puissance et la gloire : l’Allemagne sera régénérée et reconstituée : « Plus les bases et les principes de cet ouvrage seront modelés d’après l’antique esprit du peuple allemand, plus l’Allemagne, rajeunie, vigoureuse, unie, pourra reparaître avec avantage parmi les nations de l’Europe. » Le manifeste ne parle ni de la Pologne, qui avait cessé d’exister par le fait même des libérateurs, ni de la Hollande, par considération des Anglais qui lui destinaient un roi, ni de l’Italie, afin de ménager les ambitions de l’Autriche. Il se terminait par cette déclaration destinée à séduire les Français, tout au moins à les désarmer, les incitant à séparer leur cause de celle de Napoléon :


Que la France, belle et forte par elle-même, s’occupe à l’avenir de sa prospérité intérieure, aucune puissance étrangère ne la troublera, aucune entreprise hostile ne sera dirigée contre ses limites légitimes… Que la France sache que les autres puissances… ne déposeront les armes que lorsque les bases de l’indépendance de tous les peuples de l’Europe seront rétablies et assurées.


Le manifeste ne disait point limites naturelles, qui, malgré l’équivoque sur le cours du Rhin et sur l’Escaut, eût été trop précis et compromettant, avant que l’on fût convenu de rien.